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26 octobre 2021 2 26 /10 /octobre /2021 18:47

L'exercice favori du moment consiste à disséquer le discours intellectuel dominant, ou jugé comme tel, afin d'en connaître la substance, les non-dits, les incohérences, ce qui relève de la pensée et ce qui n'en est qu'ersatz. Mais il s'agit, avant tout, de mettre à nu des racines. L'exercice pourrait être soumis à la même dissection, tant il n'est pas, lui aussi, dénué de motivations particulières. Beaucoup ont déploré, ces derniers mois, la trop grande place prise dans le débat par les intellectuels dits « nouveaux réactionnaires », apôtres du déclin, boucs émissairistes obsessionnels, dont l'oppressante angoisse ne laisse aucune place à la réflexion froide. Peu à peu, la riposte s'organise, avec plus ou moins de hauteur. Après Emmanuel Todd, Daniel Lindenberg, Philippe Corcuff et quelques autres, Shlomo Sand se pose la question – ô combien justifiée – de la fin de l'intellectuel français dans un essai (*) récemment paru à La Découverte.

L'historien des idées, qui évoque en introduction la modestie de son travail, prétend pourtant refaire l'histoire depuis Zola – acte de naissance de l'intellectuel – jusqu'à Houellebecq – en somme, son acte de décès. On y voit des évolutions, des variations, des basculements, des reniements et des adhésions douteuses de la part de certains « mandarins ». Son historiographie, qui comporte des pans de son parcours personnel, tout comme une classification intéressante des intellectuels, un chapitre sur le rapport au marxisme et un autre sur « le charme discret du fascisme », est le « premier livre » de ce livre, car on peut considérer qu'il y en a deux en un. Le second, qui tient dans les deux derniers chapitres, se veut plus pamphlétaire, plus agressif et dénonciateur, surtout quand il s'agit d'évoquer les écrits de Houellebecq, Zemmour ou Finkielkraut. On flirte alors avec le procès.

 
Sand sombre dans l'amalgame le plus rédhibitoire

« En 2013 est parue L'Identité malheureuse, par Alain Finkielkraut, suivie, une année plus tard, par Le Suicide français, d'Éric Zemmour. Il a pu sembler que, jamais depuis La France juive de Drumont, en 1886, un essai polémique comme celui de Zemmour n'avait connu une diffusion aussi impressionnante (à l'exception peut-être du Petit Livre rouge de Mao) », écrit Sand, qui soudain perd de l'altitude. Il n'est plus dans la critique d'un livre, qui la mérite à bien des égards, il est dans l'amalgame le plus rédhibitoire. Comment discuter un essai qui, même seulement dans sa diffusion, moyen habile de faire une association sans vraiment la faire, peut être mis en miroir avec La France juive de Drumont ? Drumont, c'était cela : « Le Juif attire le drame, il le porte avec lui dans les pays qu'il envahit et dans les maisons où il se glisse. »

Il compare, également, Zemmour à Emmanuel Berl, « intellectuel d'origine israélite », ramené à son seul statut de « plume » de Pétain – Berl fut l'auteur des deux premiers discours de Pétain après le 17 juin 1940 et on lui doit la fameuse formule : « La terre, elle, ne ment pas. » L'historien israélien reprend par ailleurs la thèse discutable d'Emmanuel Todd, l'auteur de Qui est Charlie ?, qui percevait un vieux fond islamophobe chez les marcheurs du 11 janvier 2015. En outre, après une lecture rigoureuse de Charlie Hebdo, Sand affirme que les numéros « de 2006 à 2015 provoquent la stupéfaction », car, dit-il, « on en retire l'impression que dès lors qu'il s'agit de l'islam, tous les freins sont levés ». Il poursuit : « Il est surprenant de voir combien les juifs sémites d'hier ressemblent aux musulmans sémites d'aujourd'hui : même laideur du visage et même nez long, long et gros. » Sans commentaire.

 
Une pensée courte

Plus loin, il explique les discours de Finkielkraut et de Zemmour par leur souci d'être « reconnus comme des autochtones, c'est-à-dire des Français de souche ». Il ajoute : « N'est-il pas pathétique de voir ce fils de Polonais juif et ce fils de Berbère juif fantasmer sur cette grande nation pourtant disparue à jamais ? » Et, définitivement, l'historien d'enfermer les deux essayistes dans la catégorie des « nouveaux souchiens », expression favorite des Indigènes de la République.

On regrette la pensée courte et la perte de sang-froid de l'auteur dans ces deux chapitres, tombereaux de références à l'entre-deux-guerre. Ces références, à force, deviennent une paresse. Ou comment gâcher un sujet de réflexion en or pour qui veut bien se donner la peine de ranger son miroir des années 1930 – ce qui n'interdit pas, bien sûr, la citation historique. Dommage.

(*) La Fin de l'intellectuel français ? La Découverte.

SOURCE : https://www.lepoint.fr/debats/zemmour-finkielkraut-houellebecq-les-raccourcis-de-shlomo-sand

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