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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 15:44

BEN-GOURION-copie-1.jpgExtrait du beau livre de Paul Giniewski z.l., La Préhistoire de l'Etat d'Israel, France-Empire

 

Au-delà du domaine religieux, la centralité du pays d'Israël se retrouve sur les plans culturel et intellectuel.

A toutes les époques, en tout lieu de leur dispersion, même quand les conditions climatiques différaient complètement de celles du Moyen-Orient, les Juifs priaient pour la pluie et la rosée aux moments où la Terre sainte en était assoiffée, alors que ces prières n'avaient pas de sens dans les pays où ils séjournaient. Ils célébraient et célèbrent toujours le nouvel an des arbres et la fête des moissons aux époques où ils ont lieu en Palestine. Le chtetl était comme un morceau du Pays d'Israël égaré par erreur en terre des goïm, en terre des étrangers. Mendelé, l'un des chroniqueurs de la vie juive en Europe de l'Est au XIXe siècle, explique que le petit enfant juif ne savait rien sur le pays où il était né, où il vivait, la Russie, la Pologne, la Lituanie, leurs peuples, leurs lois, leur rois, leurs hommes politiques. Mais parlez-lui d'Og, roi de Bachan, de Sihon, roi des Amorites, de Nabuchodonosor, roi de Babylone !

Interrogez-le sur l'Euphrate et le Jourdain ! Il sait tout de ces gens qui vivaient sous des tentes, parlaient l'hébreu et l'araméen, qui chevauchaient des chameaux et des mules. Il ne sait rien des champs qui environnent le chtetl, de l'orge, du blé, des pommes de terre, d'où vient le pain. Il ignore l'existence du chêne, du frêne, du peuplier. Ses arbres fruitiers sont le palmier, le dattier, la vigne, le grenadier... Pour ces Juifs, quelque belles que fussent les synagogues qu'ils construisaient dans les pays lointains, les ruines du mur du Temple restaient le lieu le plus sacré de la terre. Pendant dix-neuf cents ans, un pèlerinage au Mur des Lamentations passait pour le plus grand des accomplissements.

Le retour au Pays d'Israël formait le thème central de la littérature hébraïque de l'exil, et la Terre sainte était l'objet de travaux scientifiques ininterrompus. On écrivait des traités savants sur des rites qui ne pouvaient être accomplis hors du Pays d'Israël, et que personne ne pratiquait plus depuis plus de mille ans : sur la loi des prémices et du glanage, sur la dîme et la jachère des terres tous les sept ans, sur l'offrande du prélèvement, etc. L'étude de ces problèmes avait un objectif conservatoire : maintenir vivantes une jurisprudence et une casuistique qui redeviendraient un jour d'usage courant. Benjamin Disraeli (1804-1881) dira : "Les vignobles d'Israël ne sont plus, mais la loi éternelle enjoint aux fils d'Israël de célébrer la vendange excepté ceux qui désirent aller à Jérusalem ou en Terre sai e et qui seront parfaitement libres de le faire" .

 

" Rabbi José disait à ses fils : Si tu veux voir la Divine Présence dans cette vie, va et étudie la Torah au Pays d'Israël.

Et ainsi de suite. Le Talmud résume cette famille d'idées par cette phrase : "Le jour du rassemblement des exilés au Pays d'Israël est aussi grand que celui où le ciel et la terre ont été créés". Cet attachement aveugle au Pays d'Israël a servi au peuple juif d'ancre au milieu des tempêtes qui l'eussent ,sans elle, mille fois englouti.

Ce phénomène de sanctification n'est d'ailleurs pas propre au seul peuple juif et la manière dont il se manifeste dans d'autres civilisations éclaire et confirme sa signification chez les Juifs. Toutes les civilisations transforment en divinité des personnalités qui ont formulé leur enseignement et leur discipline, sacralisant des événements des forces, des lieux où des effets exceptionnels se sont produits. Le type, la qualité d'une religion dépendent du type de personnalités et d'événements portés au ciel. Certaines, qu'on nomme primitives, divinisent les forces visiblement nécessaires à la survie des hommes, le soleil, la pluie, le feu. D'autres divinisent les principes qu'on croit capables d'unifier la race humaine. Le peuple juif a fait comme elles, mais a divinisé le bagage culturel nécessaire à la vie du peuple, et plus tard à sa urvie en exil, afin de le conserver pour la restauration. Par exemple sa langue, écrit le penseur sioniste Itshak Tabenkin qui développe cette thèse. On l'a appelée la langue sainte pour la mettre à l'abri. En partant pour l'exil, on a sanctifié à peu près tout ce qu'on avait créé en Erets-Israël. On a appelé le pays la Terre sainte, on a fait du peuple une nation de prêtres, on a divinisé une durée de temps, le sabbat. La religion était la patrie portative des Juifs, en attendant leur retour à Sion.

En 1936, douze ans avant l'Etat, David Ben-Gourion comparaissait, en tant que président de l'Agence Juive, devant une commission d'enquête britannique venue à Jérusalem pour déterminer pourquoi des désordres avaient ensanglanté le pays. On lui demanda ce qui attirait les Juifs en Palestine.

" Il vous sera difficile de comprendre à quel point Israël est imprégné de son passé ", répondit Ben-Gourion. " Voyez. Il y a trois cents ans, un navire, le Mayflower, a appareillé pour le Nouveau Monde. Ce fut, vous le savez, un événement historique important, et pour l'Angleterre et pour l'Amérique. Mais je serais étonné de trouver des Anglais en grand nombre capables de me dire la date exacte à laquelle ce navire a pris la mer. Et des Américains. Et qui se souvient encore combien d'hommes emportait ce navire, et ce qu'ils ont mangé en cours de traversée ? Or, trente-deux siècles environ avant le départ du Mayflower des Juifs sont sortis d'Egypte et tous les Juifs du monde, en Amérique aussi bien qu'en Russie, savent quel jour cet événement a eu lieu le 5 nissan. Et tous savent exactement ce que leurs ancêtres on mangé en quittant l'Egypte : des pains azymes. Et jusqu'à ce jour encore, tous les Juifs du monde, à cette même date, mangent des matsoth, le soir, font le récit de la sortie d'Egypte et terminent le rappel de ces souvenirs toujours vivants dans leur coeur et dans leur esprit par ce cri d' espoir . " L'an prochain à Jérusalem. " L'an prochain nous serons tous des hommes libres. Voilà, conclut Ben-Gourion, ce qui rattache les Juifs à leur pays.

On le voit, ils considéraient leur vie à l'étranger comme un accident temporaire. Au cours de leur histoire, ils allaient le prouver autrement qu'en récitant des prières et en composant des traités savants.

 

Notes :

1. Paul Giniewski : " La déclaration Balfour ", in : De Massada a Beyrouth, PUF, Paris, 1983.

2. Bernhardt Blumenkranz : Histoire de l'Etat d'Israël, Privat, Toulouse, 1982.

3. Voir : Paul Giniewski : Le Combat d'Israël, Anthropos, Paris, 1987.

4. Isaac Bashevis Singer : " Elka et Meir " , in : Amour tardif, Stock, Paris, 1982.

5. Cecil Roth : Ancient alyoth, Scopus Publishing Cy, New York, 1942, p.44.

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