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3 août 2020 1 03 /08 /août /2020 18:24


 

Et soudain, au détour du sentier, la clairière s’était logée tout entière dans son regard ébloui avec, au-dessus d’elle, une large tache d’un bleu séraphin.

Alors une partie de son enfance avait surgi ; autrefois, dans la détresse de l’exil, elle avait dû trouver une forme de consolation dans ce contact nouveau avec la nature… Et, à cet instant, la nostalgie poignante de ce qui avait été une perte, en même temps qu’un don, avait fait surgir les images oubliées de Souzy, les avait révélées dans la lumière de la clairière où toutes les nuances de vert s’étageaient jusqu’au bleu”.


 

Comme tous les grands livres, on peut aborder Le tranchant de la lumière de différentes manières. A travers la quête d’une enfance perdue et retrouvée, c’est d’abord le récit poignant d’une enfant cachée pendant la Shoah, qui tente de reconstituer par les mots ce dont elle a été largement privée - une enfance marquée par la blessure de l’absence d’une mère internée à Drancy, disparue sans qu’elle sache si elle reviendrait un jour (“Faut-il donc toujours craindre de voir disparaître ceux qu’on aime?”). Mais le drame de la séparation et de la disparition (provisoire) de la mère n’est qu’un aspect du livre. 

 

En même temps que la perte, comme l’écrit l’auteur, il y a le don, que l’enfant saura faire vivre et fructifier. Ce don concomitant à la perte, il est tout d’abord celui d’un regard acéré sur le monde environnant. Très jeune, l’enfant recueillie par une tante et confiée à une nourrice en Essonne apprend ainsi à poser un regard étonné et curieux sur la nature qui l’entoure. Dans ce regard attentif, souvent émerveillé, on voit naître la vocation future de l’artiste, qui saura un jour faire revivre, sur sa pellicule ou sur la toile, les premières impressions de l’enfant qu’elle a été.

 

Si elle avait eu besoin de ce retour, ce n’était pas seulement pour revoir des lieux décisifs de son enfance qu’elle avait en partie enfouis. C’était aussi pour ressaisir dans son corps le sens si particulier de leur éclat. C’était bien cet éclat qu’elle avait recherché ou simplement reconnu par la suite, au cours de ses déambulations, à travers la photographie ou la peinture, sans toujours pouvoir en désigner l’origine. Il lui avait permis de voir les choses avec une intensité et une vérité qui l’apaisaient”.

 

 

Le “tranchant de la lumière”,  c’est aussi cette omniprésence de la lumière et de son caractère insaisissable que la narratrice du livre tente de saisir, avec ses mots, avec son appareil photo, et de fixer sur le papier, par l’écriture et par la photographie. Car le photographe, tout comme l’écrivain, s’efforce d’immobiliser ce qui est par définition mouvant et instable : la réalité du monde qui nous entoure, tout comme celle du souvenir et du vécu intérieur. Les pages évoquant le village, les descriptions de la nature paisible et de la vie à la campagne sont parmi les plus belles du livre. La troisième dimension du livre (mais il y en a d’autres encore), c’est celle de la redécouverte de l’identité juive. 

 

Le livre s’ouvre ainsi sur la vision de l’église du village, qui surgit majestueuse, au-dessus du champ de maïs. Quand la narratrice retrouve la maison de sa tante, où elle a passé une partie de la guerre après l’internement de sa mère, le nom de la  rue des Fèves lui fait penser à la galette des Rois, ce “gâteau d’Epiphanie”. “La maison de tante Suzanne, c’était cette graine d’Epiphanie longtemps enfouie et qui germait en cet instant dans la douce chaleur de l’émotion”... Les références chrétiennes sont toujours présentes, de manière plus ou moins visible, dans cette terre de France qui demeure imbibée de son passé et de son histoire.

 

Les platanes, photo Evelyne Tschihart


 

Dans les dernières pages, le narrateur se trouve à Jérusalem, et elle se laisse guider par la foule jusqu’au “Mur des Lamentations”. “Ida ignorait à peu près tout de la religion de ses ancêtres, mais elle se sentait pourtant profondément imprégnée de cette ferveur qui s’exprimait là… Les mots de la prière lui manquaient mais sa fidélité à ce peuple était intacte et sereine, pour les suppliciés, pour sa mère, pour la transmission qui avait tant manqué et pour ce peuple qui vivait, ici et maintenant, dans sa fierté retrouvée”. Ainsi, le périple de la narratrice sur les traces de son séjour d’enfant caché en Essonne se double d’un autre voyage, à la fois extérieur et intime, en quête de son identité juive. C’est à Jérusalem qu’elle trouve une réparation au manque de la famille maternelle, dans ce voyage qui est “à la fois un retour aux sources et un moment d’apaisement”. Un très beau livre.

Pierre Lurçat

 

Evelyne Tschirhart, Le tranchant de la lumière, éditions Terra Cota 2013.

Site de l’auteur : http://www.tschirh-art.com/

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