Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 08:03

FONTANELLE SHALEV-copie-1Les romanciers israéliens traduits dans les langues européennes connaissent un grand succès. Même des publics sans affinités particulières avec Israël apprécient la production littéraire d’un pays pour lequel ils n’éprouvent pas forcément de sympathie. Cette réussite est-elle due aux qualités propres de cette littérature ou faut-il y voir le résultat d’une conjonction de facteurs échappant en partie à la qualité de cette littérature ? Est-ce le reflet de l’attention, bienveillante ou sceptique, que le monde occidental porte à l’État juif ? Dans ce cas, l’intérêt pour la jeune littérature hébraïque ne serait en somme que le résultat d’un transfert du politique au culturel. La centralité des questions politiques en Europe et leur relative occultation en Amérique du Nord expliquerait pourquoi l’Europe fait meilleur accueil à la littérature israélienne que les États-Unis et le Canada – même si ce clivage est également lié à la difficulté de promouvoir la littérature en traduction au public américain [1]. L’accueil enthousiaste réservé au cinéma israélien semble corroborer l’hypothèse du lien entre facteurs littéraires et extralittéraires dans la popularité dont jouissent les auteurs israéliens de Berlin à Madrid et de Dublin à Prague. Est-ce à dire que l’enthousiasme pour les lettres israéliennes ne serait que la conséquence de la focalisation des médias sur les aléas de la guerre et de la paix au Moyen Orient ?

Une perception décalée ?

Amos_Oz.jpgDepuis l’affirmation des écrivains de la « Nouvelle vague » dans le courant des années 1960, le roman israélien apparaît bien souvent comme une tribune politique. Les deux principaux représentants de cette « Nouvelle vague », Amos Oz et Abraham B. Yehoshua sont connus pour leurs opinions de gauche et leurs prises de position sur le conflit israélo-palestinien. Cette fonction tribunicienne a été relayée par des auteurs de la génération suivante comme Meir Shalev et David Grossman qui se sont exprimés avec véhémence sur la dernière guerre du Liban et sur d’autres sujets brûlants de la politique israélienne. La collusion entre les dimensions politique et littéraire est particulièrement évidente dans les recensions qui ont été écrites dans la presse internationale sur les œuvres de ces écrivains. La plupart du temps, les recenseurs négligent la dimension formelle et artistique des romans qu’ils présentent et se focalisent sur leurs contenus idéologiques. Bien souvent, ce qui intéresse au premier chef le public européen est la stature morale de l’écrivain et ses déclarations sur des sujets d’actualité, plutôt que la création d’un univers fictionnel. Dans une interview d’Amos Oz publiée dans The Guardian le 14 février 2009, l’auteur de l’article, Aida Edemariam, cite Jacqueline Rose, la fondatrice de la revue Jewish Independent Voices, pour qui la folie de Hannah, l’héroïne de Mon Michaël, est principalement causée par le souvenir obsédant des deux jeunes Arabes Halil et Aziz, en lesquels certains critiques ont cherché à reconnaître une synecdoque du peuple palestinien occulté de l’histoire. Et pourtant, de l’aveu même de l’auteur, la hantise de Hannah n’est pas due à la culpabilité d’avoir volé leur terre au peuple palestinien, mais bien plutôt au traumatisme laissé par le siège de Jérusalem et à la crainte de voir recommencer cet éprouvant cauchemar, au terme de ce que l’auteur appelle un « sursis » (borrowed time) [2]. Si les anciens compagnons de jeu de Hannah obsèdent la jeune femme, c’est bien parce que, depuis 1948, ils habitent de l’autre côté de la frontière israélo-jordanienne, c’est-à-dire dans un endroit géographiquement proche, que les vicissitudes de l’histoire ont transformé en un ailleurs inaccessible et inquiétant. Certains lecteurs européens ont cherché à voir dans Mon Michaël un roman traitant des conséquences de la Guerre des Six Jours. En fait, cette œuvre écrite entre 1964 et 1966 met en scène la crainte et l’angoisse de la population juive de Jérusalem avant la réunification de la ville, non la culpabilité somme toute assez récente des Israéliens de gauche mal à l’aise dans leur rôle d’occupants.

 

Dans la même interview, le roman autobiographique Une histoire d’amour et de ténèbres est présenté comme le récit de la création de l’État d’Israël autant sinon plus que l’histoire de la désintégration d’une famille. Cette perception est caractéristique d’un lectorat pour qui la perspective subjective de l’autobiographe compte moins que le contexte historique dans lequel il s’insère. Mais pour qui s’intéresse à l’écrivain en tant qu’individu, un tel écart dans la lecture d’Une histoire d’amour et de ténèbres apparaît comme un contresens inspiré par une focalisation exclusive sur la question palestinienne.

Même si le rôle d’Amos Oz comme porte-parole de la gauche israélienne est indéniable, son succès à l’étranger est en partie dû à l’exagération de cette fonction politique exercée par l’écrivain engagé [3]. Les médias européens cherchent à le présenter avant tout comme un militant humaniste et pacifiste, otage d’un État perçu comme cynique et belliciste. Le dialogue de sourd entre le romancier israélien et les lecteurs venus assister à sa causerie est révélateur d’un malentendu plus général qui se fait jour dans la réception d’Amos Oz, A. B. Yehoshua et David Grossman par les lecteurs européens qui ont tendance à percevoir ces auteurs comme plus pacifistes qu’ils ne sont réellement [4]. Ce décalage entre l’image pacifiste ad extra et les prises de position politiques ad intra de ces trois auteurs révèle une différence de fond entre le pacifisme européen, option théorique depuis que les guerres ont pour théâtre des régions situées en dehors de l’espace Schengen, et sa contrepartie israélienne qui est avant tout un réflexe de guerriers fatigués et de mères anxieuses pour leurs enfants postés en première ligne. Les répercussions de la guerre, qui agitent certains romans israéliens comme L’Amant d’A.B. Yehoshua ou Un juste repos d’Amos Oz, confèrent à la littérature israélienne une dimension documentaire susceptible de fasciner des lecteurs nés après la Seconde Guerre mondiale pour lesquels les tanks, les bombes et les grenades ne constituent pas un référent palpable, mais un signifié entré dans l’histoire ou relégué dans un ailleurs, menaçant ou fascinant selon les cas....

 

LIRE LA SUITE...

http://www.laviedesidees.fr/La-seduction-israelienne-de-la.html

Partager cet article
Repost0

commentaires

V
Vous écrivez: «… la culpabilité somme toute assez récente des Israéliens de gauche mal à l’aise dans leur rôle d’occupants.»<br /> Je me permettrais de vous suggérer qu'ils ne sont pas mal à l'aise dans leur rôle d'occupants mais plutôt dans leur rôle de vainqueurs. C'est cet «Excusez-nous d'avoir gagné la guerre, de ne pas<br /> nous être laissé chasser ou exterminer» qui est reproché à tous ces penseurs formatés et figés dans le conformisme de leur pensée (qui rapporte par ailleurs, puisqu'il s'agit bien, comme vous le<br /> signifiez si bien, d'une projection du politique sur le littéraire, à savoir d'une conception politique accusatrice d'un Israël que l'on montre du doigt).
Répondre
V
Vous écrivez: la culpabilité somme toute assez récente des Israéliens de gauche mal à l’aise dans leur rôle d’occupants.<br /> <br /> Je me permettrais de vous suggérer qu'ils ne sont pas mal à l'aide dans leur rôle d'occupants mais plutôt dans leur rôle de vainqueurs. C'est cet "Excusez-nous d'avoir gagné" qui est reproché à<br /> tous ses penseurs uniformes autour du conformisme de leur pensée.
Répondre