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4 décembre 2023 1 04 /12 /décembre /2023 12:43
« Face à l’opacité du monde » Un regard lucide et éclairant de Pierre Lurçat sur le monde qui s’installe à bas bruit.

L’intérêt de ce livre

 

Pierre Lurçat prend comme objet de réflexion onze ouvrages de penseurs[1] qui se sont interrogés sur les dérives de notre temps. Ces dérives concernent les nouvelles technologies, la science « sans conscience », l’intelligence artificielle qui serait sensée remplacer celle de l’homme, allant jusqu’à un changement anthropologique peut-être irréversible. En somme la déconstruction du réel. Ajoutons le rôle des médias omniprésents, de la télévision, de l’internet, du téléphone portable et de l’intelligence artificielle. Il s’agit d’une déconstruction radicale de l’homme qui renvoie aujourd’hui à sa « défiguration ». Car c’est non seulement notre image qui change mais notre « être au monde ». Ce monde d’avant qu’on voudrait effacer pour nous imposer un monde totalitaire où l’homme ne serait qu’un robot, un exécutant privé d’esprit critique, un clone répété, sélectionné selon ses compétences requises… Cela n’est pas sans nous rappeler « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley.

Chaque ouvrage, en fonction des champs d’investigation des auteurs, nous fait toucher du doigt les changements qui pervertissent l’immense potentiel des capacités humaines, cognitives, mais aussi artistiques. Les œuvres du passé témoignent de la grandeur des savoirs faire, produits de l’ingéniosité, de la recherche artistique mais aussi de la foi religieuse.

Sans vouloir donner une analyse exhaustive des livres présentés par Pierre Lurçat, nous nous attarderons sur quelques exemples des différents domaines abordés afin d’amener le lecteur à réfléchir sur le bouleversement qui est en train de se produire et qui, selon moi, vise à subvertir notre vie, notre culture, notre langue et notre civilisation. Chaque jour, on nous manipule et nous transforme au nom d’un « progrès » nécessaire (pour notre bien) et démoniaque.

 Nous assistons à la disparition de ce qui a permis à l’homme de progresser, de créer librement, mu par le sentiment que son destin est de s’accomplir dans la recherche du Bien et du Beau et de la transmission. On le voit avec l’invasion de l’Art contemporain qui nous a été imposé (en France) par le ministère de la culture et qui se vend comme un produit financier qui rapporte gros. Mais le plus grave, c’est qu’il évince les vrais artistes, ceux qui travaillent encore avec la main ! [2] Pierre Legendre évoque à ce sujet, un texte d’Henri Focillon : « L’éloge de la main » : « Quel est ce privilège ? Pourquoi l’organe muet et aveugle nous parle-t-il avec tant de force persuasive ? » Car il est vrai qu’on doit à cet organe les œuvres les plus magistrales, les plus admirables ; mais n’oublions pas qu’elles étaient guidées par la pensés, la recherche de la beauté et la foi.

Aujourd’hui, un « artiste » d’art contemporain : Maurizio Cattelan peut s’enorgueillir de « ne travailler qu’avec son téléphone » !

 Et puisque nous parlons de cet objet « connecté », on observe avec inquiétude : dans la rue ou dans les transports en commun, à table etc. que les jeunes et les moins jeunes sont arrimés à leur smartphone, même lorsqu’ils marchent dans la rue, au risque d’un accident. En fait, les yeux rivés sur l’écran, ils ne pensent plus, ne rêvent plus, et ne regardent plus ce qui les entoure, ils ont perdu cette    vacuité de l’âme qui permet d’accueillir le monde visuel et sensoriel et fait travailler leur cerveau. Ils sont prisonniers le plus souvent, de conversations futiles, d’informations sans intérêt, voire de jeux.

 Mais, le plus inquiétant, peut-être, c’est le rôle des images télévisées sur les enfants et adolescents et cela dès le plus jeune âge. Liliane Lurçat a été pionnière dans la réflexion sur les conséquences délétères de l’image télévisée sur les jeunes et leur équilibre psychique. Dans ses livres, « Le temps prisonnier, des enfances volées par la télévision » et « La manipulation des enfants » par la télévision et l’ordinateur », elle explique : « La manipulation des enfants tente de faire prendre conscience du problème extrêmement préoccupant que posent la télévision et l’ordinateur au foyer, face à des parents aussi démunis et largement inconscients que leurs enfants. » Ainsi, les enfants et les adolescents échappent à l’autorité parentale ; les parents sont, pour beaucoup, eux-mêmes soumis à la drogue de la TV

 Les analyses de Liliane Lurçat se sont révélées prémonitoires, mais elles n’ont pas été entendues, notamment par l’éducation nationale qui a introduit massivement l’ordinateur à l’école. J’ai pu le constater, en tant que professeur de collège. Les élèves ne savent plus tenir un crayon, un stylo et on a décrété qu’ils n’avaient plus besoin d’écrire puisqu’ils avaient un clavier ; ainsi le lien entre l’écriture et le cerveau : cet exercice que nous avons pratiqué dès notre enfance et au-delà, est rompu. Pourtant l’écriture manuelle stimule certaines ondes du cérébrales qui favorisent l’apprentissage et la mémorisation.

 Quant à la TV et les films pour adultes, les jeunes qui les visionnent sans frein, sont la proie de la violence et d’une sexualité pornographique qui leur donne une idée malsaine de la sexualité pour elle-même et dépourvue d’amour.

 C’est ce qu’explique très clairement le sociologue et philosophe Shmuel Trigano dans « L’intention d’amour », sous-titré « Désir et sexualité dans le livre des Maîtres de l’âme de R. Abraham ben David de Posquières ».

Pierre Lurçat analyse la pensée hébraïque qui permet « de comprendre la sexualité non pas, comme le fait l’Occident moderne et post-moderne, comme une dimension à part- érigée aujourd’hui en fondement d’une « identité sexuelle » ou d’une identité de genre, notions totalement impensables dans la tradition d’Israël - mais comme un élément indissociable de la personne humaine, des relations homme-femme et de l’établissement de la famille. C’est précisément parce que la pensée hébraïque refuse l’autonomie de la sexualité-pour ne l’envisager que dans sa conception anthropologique globale - qu’elle permet de répondre aux dérives actuelles du « genre » et de la dilution des notions fondatrices du masculin et du féminin. »

L’amour précisément, est le grand absent de ces ébats sur petits et grands écrans. Avec la libération sexuelle, c’est le sexe qui prend le pas sur l’amour et qui devient une machine addictive. La libération des femmes a-t-elle tenu sa promesse ? On peut en douter…

La science aux mains des apprentis sorciers.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait déjà François Rabelais au XVIème siècle. Ce truculent écrivain était aussi un homme sage. Il avait le sens de la limite.

Or ce n’est pas, semble-t-il ce qui caractérise nos scientifiques qui, pour un grand nombre d’entre eux, ne mettent plus aucun frein à leurs recherches et qui se prennent pour de nouveaux démiurges. François Lurçat, physicien et penseur de la philosophie des sciences s’est interrogé sur les limites à ne pas franchir dans le domaine scientifique, dans son livre « La science suicidaire – Athènes sans Jérusalem. » Nourri de pensée hébraïque et face au déferlement de l’idéologie scientiste dans le monde contemporain, il arrive à la conclusion que : « Les piliers de la civilisation sont par conséquent la morale et la science, et les deux ensemble. Car la science sans morale dégénère en cynisme et détruit ainsi la base de de l’effort scientifique lui-même, et la morale dégénère en cynisme et détruit ainsi la base de l’effort scientifique lui-même ; et la morale sans la science dégénère en superstition et risque ainsi de se muer en cruauté fanatique. »

Dans un livre captivant : « Main basse sur les vivants »[3], Monette Vacquin, psychanalyste, qui travaille avec des biologistes, des philosophes et des anthropologues, dresse un tableau apocalyptique des manipulations génétiques qui se sont développées depuis les dernières décennies. Elle s’inquiète, à juste titre, de ces manipulations qui ne semblent pas rencontrer une véritable réflexion apaisée (il y a les pour au nom du bien-être humain et les contre au nom de l’éthique et de la prise en compte du symbolique, tel qu’il avait fonctionné jusqu’ici). Et de fait, la part du symbolique semble évacuée au profit du désir et du bien-être des individus. Pourquoi refuserait-on « du bonheur » aux couples qui ne peuvent avoir d’enfants ?

Le clonage existe déjà chez les animaux ; pour l’instant il n’est pas accepté chez les humains, mais jusqu’à quand ? À propos de la fécondation in vitro, Monette Vaquin écrit dans le chapitre « Désexualiser l’origine » :

« L’externalisation de l’œuf humain, associée au progrès foudroyant de la génétique, ouvrait des espaces de pouvoir et d’intervention sans précédent dans l’histoire humaine. Cette possibilité soulevait des questions que les hommes n’avaient jamais rencontrées. Aucune génération avant la nôtre n’avait eu le pouvoir de fabriquer l’humain, de le stocker par la congélation, de ranimer    l’inanimé, de maîtriser sa descendance, d’en modifier les caractères… »

Ce court extrait pose de façon cruciale la perspective d’un monde devenu fou par la volonté de puissance de certains scientifiques ivres de leurs pouvoirs sur l’espèce humaine.

Conclusion :

 L’intérêt du livre de Pierre Lurçat, outre qu’il est bien construit et, comme toujours clair et argumenté, est de nous montrer que les changements existentiels qui émergent dans nos sociétés occidentales sont très graves dans la mesure où ils ne sont pas accompagnés ou freinés par la liberté de choisir le monde dans lequel nous voulons vivre.  Or il apparaît que cette liberté se rétrécit, que nous n’avons plus notre mot à dire et que nous sommes déjà destinés (sans notre accord) à vivre dans un monde qui se construit malgré nous. Un monde sans limites éthiques, d’où D.ieu a été expulsé. Un monde où la science mène la danse, un monde déshumanisé, sans passé et dont l’avenir, tels qu’on en voit les prémisses, ressemblera à un cauchemar.

 La question que ne pose pas le livre de Pierre Lurçat mais que l’on entrevoit de façon implicite est celle de savoir quels sont ceux qui sont aux manettes de ce bouleversement historique et civilisationnel. Ou encore, qui y a intérêt ? Car ces changements ne sont pas venus de nulle part ; ils ont été impulsés, lentement mais sûrement.  On ne peut ignorer les choix politiques qui visent à soumettre une grande partie de la population, afin de la couper de ses racines civilisationnelles, d’anéantir un passé encore proche malgré ce que nous voyons se déliter : la destruction des savoirs à l’école, la destruction des nations au profit d’une Europe qui tend à les remplacer et sur laquelle nous avons politiquement peu de prise. L’accueil ininterrompu de populations issues d’une autre religion et civilisation et qui remplaceront les nôtres par leur nombre. Une presse payée pour travestir la réalité. Le wokisme qui, par ses exigences de déconstruction, pervertit la nature de l’homme.  

Une utopie est en train de se dessiner sous nos yeux. « Changer l’homme », comme le souhaitent tous les systèmes totalitaires. Julien Freund l’avait senti qui écrivait dans ses propos sur le politique :

« Si l’homme est condamné à la vieille politique, c’est parce qu’il est condamné comme homme à rester un homme :il existe une nature humaine. Si jamais la biologie, ce qui n’est pas impossible, devenait capable de transformer l’être humain dans sa nature, le résultat en serait non pas un autre homme, mais autre chose qu’un homme, quelque chose qui pour l’humanité qui est la nôtre, sera un monstre… L’homme n’est pas aliéné par rapport à son passé, mais par rapport à l’avenir. C’est la signification profonde des utopies. »

                                                                                 Evelyne Tschirhart

 

[1] Technopoly de Neil Postman -Le mythe de l’intelligence artificielle : Éric Sadin-La guerre de l'attention Y. Marry et F. Souillot – Apocalypse cognitive, Gérard Bronner – Pourquoi déconstruire ? de Pierre -André Taguieff –La nouvelle idéologie dominante de Shmuel Trigano – La fin des choses, Byung-Chul Han – La manipulation des enfants, de Liliane Lurçat – L’intention d’amour, de Shmuel Trigano – La science suicidaire, François Lurçat -La philosophie devenue folle, J6F Braunstein.

[2] Voir à ce sujet le beau texte de Pierre Legendre : « Le visage de la main » Les Belles Lettres 2019

[3] Main basse sur les vivants – de Monette Vacquin (Fayard) 1999

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28 novembre 2023 2 28 /11 /novembre /2023 17:17
Face à l’opacité du monde, Pierre Lurçat offre des étincelles

Liliane Messika – 24 novembre 2023

En 1945, on a dit « plus jamais ça ».

Le 7 octobre 2023, « ça » a recommencé et au lieu de voir les nations civilisées prendre le parti de l’agressé et exiger des représailles impitoyables contre l’agresseur, c’est le contraire qui s’est produit.

 

Les erreurs de la post-vérité

Face à ce que l’avocat-écrivain-traducteur-analyste Pierre Lurçat décrit comme « la multiplicité des interprétations et des opinions érigées en vérités », il nous propose de prendre du recul grâce à de grands autres, au nombre desquels ses propres parents, la psychologue Liliane Lurçat et le physicien et philosophe des sciences François Lurçat.

Les éclairages des Lurçat senior révèlent à quel point leur point de vue était visionnaire sur ce monde schizophrène, dont ils n’ont connu que les prémices.

Pierre Lurçat nous invite aussi à « lever les yeux », avec Yves Marry et Florent Souilly, qui ont fondé une association portant ce nom, et à rencontrer Byung-Chul Man, que son origine sud-coréenne et sa formation polymorphe (métallurgie et théologie catholique) ont peut-être prédestiné à enseigner la philosophie en Allemagne. Autres lumières, autres philosophes et un choix d’idéo-pathologies : Jean-François Bronstein a scruté « La religion woke » et Éric Sadin s’est penché sur « L’individu-tyran ». Autres invités de ce petit livre de grands penseurs, les sociologues Gérald Bronner, lauréat de l’Académie des sciences morales et politiques et Shmuel Trigano, qui ajoute à sa casquette de sociologue des religions celles de philosophe et de sage (Tzaddik en version originale). Enfin deux historiens, Neil Postman, théoricien des médias et Pierre-André Taguieff, spécialiste de l’antisémitisme et d’autres pathologies mentales contribuent aussi à donner du sens à cette histoire de fous qu’est l’Histoire contemporaine.

« Le fil conducteur qui relie les différents auteurs n’est pas seulement celui de la technologie, de la mutation de l’identité humaine ou de la nécessité de protéger les acquis de la civilisation contre les dérives anti- ou post-humanistes », avertit l’auteur : il a aussi l’ambition de reconnecter l’humanité de dieu à la transcendance de l’homme.

 

Informer, désinformer, déformer, formater

« À l’ère des réseaux sociaux, on n’échange plus des idées, on "partage" des informations » explique Lurçat, qui voit dans ce partage, non plus un dialogue, mais des monologues parallèles rappelant ceux des tout-petits, isolés chacun dans la bulle de son ego en construction.

De ce fait, les flux d’informations se croisent sans enrichir les émetteurs ni les récepteurs, les ondes deviennent des vagues et se conjuguent en un tsunami qui empêche les naufragés de distinguer les bouées flottant au milieu des requins.

La connaissance de l’actualité devrait nous rendre le monde intelligible, mais l’information étant de plus en plus formatée en fonction de présupposés et les sources émettrices devenant pratiquement aussi nombreuses que les individus récepteurs, il en résulte une méfiance généralisée vis-à-vis des médias, paradoxalement aggravée par les « décodeurs » que chacun d’entre eux met en place pour imposer sa propre vérité.

 

Sans la morale, l’homme est soumis à la loi du plus fort

Il ne s’agit pas d’incriminer les seuls médias pour l’opacité du monde actuel, quand notre propre incapacité à porter des jugements y participe à responsabilité égale. C’est là le résultat du « symétrologisme » pratiqué par la plupart des commentateurs. Ils n’ont rien inventé : ils copient les politiques, habitués à renvoyer dos à dos agressés et agresseurs, bourreaux et victimes, de manière à s’éviter le dilemme de juger et donc, d’être jugés sur les résultats de leurs choix.

Le jugement implique que le juge possède des critères lui permettant de distinguer le vrai du faux et le coupable de l’innocent. Ces critères sont réunis dans un corpus nommé morale.

Cette indispensable boussole situe le bien et le mal, distinction sans laquelle l’injonction de Lurçat ne peut rester que lettre morte :  « Toute analyse cognitive doit s’accompagner d’une analyse morale. »

Le conflit Hamas-Israël n’est pas un conflit territorial et pas seulement une guerre de religions. C’est l’opposition de deux projets de civilisation incompatibles, l’un ouvert et tolérant, articulé autour du bien et du mal et l’autre centripète, fonctionnant sur la soumission aveugle à une déité que l’altérité insupporte.

Seul l’homme occidental, que sa culture a doté d’un libre-arbitre, est susceptible d’évoluer (en bien comme en mal) en fonction de son environnement physique, technologique et humain, car il n’est pas, comme le Hamas et ses supporters, momifié dans un carcan d’interdictions.

 

L’homme a inventé la technologie qui a réinventé l’homme

Les changements technologiques ont transformé le mode de communication de l’homme, et les idéologies dont il est submergé l’ont lui-même transformé de l’intérieur, le rendant perméable à la « déconstruction » de son psychisme, qui prélude à la déconstruction de son mode de vie et de ses valeurs.

L’homme post-moderne est conduit à se débarrasser de ses racines, à oublier ses origines, à nier son histoire, son passé, ses repères. Sa déconstruction « a des visées politiques évidentes, qui convergent dans la criminalisation de l’Occident. La dénonciation de l’ethnocentrisme occidental et la critique radicale de l’humanisme aboutissent ainsi à jeter le bébé avec l’eau du bain, en abandonnant tous les acquis de la civilisation occidentale et pour ainsi dire tous les acquis de la civilisation humaine. »

Le sexe, le genre, l’Histoire, la langue, tout y passe. Lurçat cite Trigano : « À l’opposé de la pensée moderne, qui conçoit une rupture entre les mots et les choses, la déconstruction ramène les choses aux seuls mots… Aujourd’hui le réel n’est plus qu’un texte. » Ajoutons qu’il n’est pas anodin que les plus acharnés à cette déconstruction, les néo-féministes, aient comme revendication l’ajout, à chaque substantif et adjectif, d’un pénis symbolique en forme de « e muet » flanqué de deux points, pour signifier que désormais, l’homme n’a plus le privilège de la virilité.

Ce n’est plus l’intelligence qui se substitue à la force pour aider Homo Sapiens à réaliser ses aspirations, mais la technologie, qui vise à le remplacer, lui, y compris dans son essence : la procréation.

« La technologie inhérente aux nouveaux médias a ainsi instauré une nouvelle relation entre l’homme et la technique, dans laquelle celle-ci n’est plus un outil au service de l’homme, mais un instrument de sa nouvelle servitude. »

 

L’espoir : une vue de l’esprit

Lurçat n’est pourtant pas désespéré : face à la rupture anthropologique, il estime que l’Homme a encore des atouts. « Refonder un nouvel humanisme en tirant les leçons de l’échec de l’humanisme occidental, sans sacrifier l’idéal qui a porté celui-ci pendant des siècles. » Autrement dit, revenir aux fondamentaux : « ceux de la tradition d’Israël, redevenue d’actualité avec le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale. »

 

Cette espérance (qui est le nom de l’hymne israélien) de renouer avec la morale, avec les dix paroles qui ont servi de modèle à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne pourra hélas advenir que si les deux milliards d’humains acharnés à faire disparaître cette morale avec ses disciples changent de logiciel.

Ce n’est pas gagné.

 

Face à l’opacité du monde

Pierre Lurçat

Éditions de l’Éléphant

104 pages - 13,70€

www.amazon.fr/Face-lopacit%C3%A9-monde-livres-%C3%A9clairent/dp/2322506001

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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 13:29
EN LIBRAIRIE - Face à l'opacité du monde, des livres qui nous éclairent

A l'ère des réseaux sociaux, on n'échange plus des idées: on "partage" des informations et des "contenus". Cette réalité bien concrète, qui peut sembler triviale, recèle en vérité un changement fondamental, qui affecte non seulement notre manière de dialoguer avec nos prochains, mais également notre manière même d'appréhender le monde. En vérité, ce "partage" d'informations ne consiste pas tant à inviter l'autre à faire sienne notre vision du monde, qu'il ne dénote plutôt notre incapacité croissante à échanger des idées de manière authentique.

Il y a là une manifestation d'une atteinte sans précédent à notre idée même du savoir et de la vérité. Dans un monde saturé d'information et soumis au bruit incessant des "tweeteurs" et d'autres notifications permanentes, nous ne pouvons non seulement plus nous entendre, mais nous sommes devenus sourds à toute voix extérieure, et parfois à notre propre voix intérieure. Le trop-plein d'informations ne tue pas seulement l'information elle-même, mais il anéantit aussi notre capacité de comprendre le monde.

Dans les pages qui suivent, nous avons restreint notre analyse à douze livres qui ont pour point commun de porter sur notre monde un regard à la fois critique et constructif. Les thèmes abordés par les auteurs ici évoqués sont multiples et variés: la "déconstruction" (P.A. Taguieff), l'idéologie post-moderne (S. Trigano), la technologie (N. Postman), l'Homo numericus (E. Sadin), la manipulation des médias (L. Lurçat) ou encore la science (F. Lurçat), etc. Malgré leur disparité apparente, ils participent pourtant d'un même phénomène - dont ils représentent les multiples facettes - qu'on pourrait définir comme la transformation radicale, ou la mutation de l'identité de l'homme.

Face à l'opacité du monde (bod.fr)

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19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 07:39
Lectures de Jean-Pierre Allali  - Quelle démocratie pour Israël? par Pierre Lurçat

Quelle démocratie pour Israël ? - Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ?, par Pierre Lurçat  (*)

 

Depuis plusieurs mois, à l’appel d’organisations de gauche et d’opposants à Benyamin Netanyahu, des milliers de personnes manifestent en Israël aux cris de « Demokratia, demokratia ! ». Le Premier ministre, malgré certains succès politiques, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, est voué aux gémonies. On murmure qu’Israël, jusqu’ici montré en exemple comme pays de libertés, est en passe de devenir une dictature. Un éclairage objectif et argumenté devenait nécessaire. C’est pourquoi on sera infiniment reconnaissant au juriste, essayiste et traducteur israélien, Pierre Lurçat, de nous éclairer sur ce sujet sensible et controversé.

Comme le dit le titre de l’ouvrage, la question centrale est simple : qui détient le pouvoir ? Les élus du peuple, issus d’élections ou les juges ? Et, comme on va le voir, en Israël, ce n’est pas si simple ! Les choses ont commencé à se compliquer en 1990 avec la « Révolution constitutionnelle » initiée par le juge Aharon Barak, un véritable « putsch judiciaire ». C’est en effet à cette occasion qu’a été instauré un système judiciaire et politique sans équivalent dans le monde démocratique. Dès lors, la Cour suprême la plus activiste du monde s’est arrogé un droit de regard sur la quasi-totalité des décisions et des actes du gouvernement, de l’armée ou encore de l’administration. Il faut dire que l’absence de constitution a facilité grandement cette situation. Eh oui, Israël n’a toujours pas, soixante-quinze ans après sa renaissance, de constitution et se contente de lois dites « fondamentales ». En 1948, David Ben Gourion avait préféré temporiser et, entre 1958 et 1992, neuf lois fondamentales ont été adoptées ; la loi fondamentale sur la Knesset, celle sur les terres de l’État, celle sur le gouvernement, celle sur le budget, celle sur l’armée, celle sur Jérusalem, capitale d’Israël, celle sur le pouvoir judiciaire et celle sur le contrôleur de l’État. Plus tard, viendront s’ajouter la loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine et sur la liberté professionnelle.

Pierre Lurçat nous explique comment le juge Aharon Barak, lui-même d’origine lituanienne a réussi, petit à petit au fil des ans, à rogner sur les pouvoirs des élus au profit des juges. Et c’est ainsi qu’un groupe minoritaire de « Juifs d’origine ashkénaze, laïcs et de gauche » a littéralement pris le pouvoir. Lurçat ne mâche pas ses mots parlant de « conception totalitaire et quasi-religieuse du droit » ou encore de « fondamentalisme juridique ».

Dès lors, le projet de réforme judiciaire proposé par Benyamin Netanyahu, n’a comme objectif que de redonner à la Knesset plus de pouvoir et à limiter celui des juges devenus envahissant. Une réforme du système de nomination des juges fait partie des pistes de réflexion. Comme aussi, l’idée de réformer les pouvoirs du conseiller juridique du gouvernement.

Une étude magistrale et édifiante !

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions L’Éléphant, avril 2023, 132 pages

Lectures de Jean-Pierre Allali - Quelle démocratie pour Israël ?, par Pierre Lurçat | Crif - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France

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24 mai 2023 3 24 /05 /mai /2023 15:36
Le juge Aharon Barak

Le juge Aharon Barak

Aharon Barak a placé le juge au-dessus du commun des mortels, “il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi”. Mais il y a une différence radicale entre la Loi du Sinaï et la loi telle que l’envisage Aharon Barak. La Loi du Sinaï a été donnée au peuple dans son intégralité, un peuple capable de la comprendre et de l’appliquer, tandis qu’Aharon Barak s’estime être le seul à pouvoir véhiculer la loi vers le peuple. Avec lui “le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation”. Bref, la Révolution constitutionnelle a doté la Cour suprême d’un pouvoir exorbitant capable d’annuler les lois de la Knesset, y compris les Lois fondamentales.

Afin d’élargir le domaine de compétence de la Cour suprême, Aharon Barak commence par bouleverser les règles du droit de saisine et de l’intérêt à agir (afin de permettre un accès élargi devant la Cour suprême) puis il abolit les limites de la justiciabilité instaurées par la jurisprudence.

La vision qu’a Aharon Barak du droit est explicitement totalitaire en ce sens que tout vide juridique peut et doit être comblé par une norme juridique et que l’aire du politique ne saurait échapper au justiciable. La séparation des pouvoirs elle-même ne doit pas empêcher le contrôle judiciaire des actions gouvernementales y compris à caractère politique car, écrit Aharon Barak avec sa logique implacable et fermée sur elle-même, le pouvoir judiciaire “garantit que chaque pouvoir agit légalement à l’intérieur de son domaine, ce qui garantit la séparation des pouvoirs”. Aharon Barak se rend-il compte que dans sa frénésie il bafoue la séparation des pouvoirs sous prétexte de la défendre ? De fait, la Cour suprême met son nez partout, forte de l’extension de son domaine de compétence théorisée par Aharon Barak, extension qui efface la frontière entre le justiciable et le non justiciable, entre le droit et la politique. La Cour suprême intervient dans tous les domaines de la vie publique du pays, ce qui entre autres effets porte préjudice à la vie économique d’Israël par l’incertitude juridique, les sociétés internationales redoutant de tomber entre les griffes de la toute-puissante Cour suprême.

Il y aurait un livre à écrire sur les arrêts rendus par cet activisme (voire hyper-activisme) judiciaire. La Cour suprême est devenue l’instance qui valide ou invalide chaque nomination, grignotant ainsi le pouvoir du gouvernement qui par ailleurs se voit sans cesse surveillé.

Comment comprendre qu’Aharon Barak ait acquis un tel pouvoir ?

Pour comprendre la réussite de la Révolution constitutionnelle il faut commencer par examiner les deux Lois fondamentales adoptées en 1992, soit la loi sur la dignité humaine et la loi sur la liberté personnelle.

Les députés du Likoud qui se rattachent à la tradition démocratique libérale vont être les artisans de la Révolution constitutionnelle à la Knesset. Citons le ministre de la Justice Dan Meridor, favorable au vote d’une Constitution permettant à la Cour suprême d’annuler les lois. Il s’agit pour lui (ainsi qu’il le confessera bien après) de prendre de court les partis orthodoxes promoteurs de la Torah. Lorsque le gouvernement auquel il appartient tombe, il doit s’arranger avec une nouvelle coalition où siègent des partis orthodoxes. Il manœuvre donc (passons sur les détails) et le 17 mars 1992, la Knesset adopte le projet de Loi fondamentale sur la dignité et la liberté de l’homme, une loi qui (avec la Loi fondamentale sur la liberté professionnelle) permet à Aharon Barak de s’engouffrer dans la brèche et se croire autorisé à annuler les lois de la Knesset considérées comme contraires à ces deux Lois fondamentales.

 

La Knesset

 

Une fois encore et sans entrer dans les détails, cette Révolution constitutionnelle semble s’être faite à l’insu du public mais aussi des députés qui ont voté ces deux lois et des médias, grâce à un tour de passe-passe élaboré par Uriel Lynn, président de la Commission des Lois.

La Révolution constitutionnelle d’Aharon Barak s’appuie sur son appréciation de la démocratie, à savoir que la démocratie de la majorité ne suffit pas si elle ne s’accompagne pas d’une démocratie des valeurs. “La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société”. Cette idée s’est installée chez nombre de nos contemporains pour lesquels les “valeurs de la société” importent bien plus que les règles de fonctionnement et les principes constitutifs d’un régime démocratique. L’État des droits semble vouloir s’imposer toujours plus à l’État de droit, ce qui pose au moins deux problèmes : 1. Le bien commun est évacué. Certes, le bien commun consiste à défendre l’ensemble des intérêts catégoriels ; mais que faire lorsque ceux-ci entrent en conflit les uns avec les autres ? 2. Qui est habilité à définir les valeurs de la société ? Et que faire en cas de conflit des valeurs ? Selon Aharon Barak, le juge seul (c’est-à-dire lui-même) est habilité à définir, apprécier et interpréter ce qu’elles sont. Ainsi s’est-il arrogé le droit d’annuler des lois de la Knesset, une pratique très restreinte avant la Révolution constitutionnelle et qu’il a rendue banale.

Cette orientation donnée par Aharon Barak à partir des deux Lois fondamentales de 1992 a des défauts. (Rappelons que les Lois fondamentales antérieures à la Révolution constitutionnelle ne portaient que sur les institutions). Tout d’abord, ces lois ont été adoptées à la sauvette, de nuit et devant un hémicycle aux deux-tiers vide. Si ces lois ne suffisent pas à définir la Constitution, elles en constituent la partie la plus importante et de l’avis même d’Aharon Barak. L’autre défaut, plus grave, concerne la séparation des pouvoirs. En effet, la Cour suprême se voit investie d’un pouvoir de contrôle et d’annulation qu’elle n’a jamais reçu du peuple et ses représentants. Tout l’édifice juridique édifié par Aharon Barak ne repose sur aucune décision de la Knesset et sur aucune loi. Bref, la Cour suprême s’est octroyée la compétence de légiférer seule, en se découplant du pouvoir législatif, soit la Knesset. Il faut lire à ce sujet les critiques du juge Moshé Landau qui estime qu’avec le vote de la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine (9 novembre 1995), la Cour suprême avait annoncé avoir élaboré une Constitution (comportant un contrôle judiciaire des lois de la Knesset). C’est un peu Pallas Athéna sortant du front de Zeus…

Le projet de réforme conduit par le gouvernement issu des élections de novembre 2022 veut rétablir l’équilibre des pouvoirs en réparant les excès de la Révolution constitutionnelle. Quel est ce projet de réforme judiciaire ?

Précisons avant tout que cette réforme n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein puisque plusieurs gouvernements antérieurs (notamment par le biais de leurs ministres de la Justice) avaient tenté de rétablir un équilibre rompu par Aharon Barak, en permettant de remettre en vigueur une loi votée par la Knesset et annulée par la Cour suprême. La clause de contournement n’a donc pas été élaborée par l’actuel gouvernement.

Dans ce livre Pierre Lurçat dénonce également le système de nomination des juges par des juges, pièce maîtresse du dispositif élaboré par Aharon Barak. Comme le signale Israël Aumann, prix Nobel d’économie, “il ne s’agit pas de démocratie, mais d’oligarchie”, un avis partagé par de nombreux observateurs. Cette question est devenue d’autant plus cruciale que les juges (à commencer par ceux de la Cour suprême) s’en sont de moins en moins tenus à des questions strictement juridiques pour s’adonner à l’activisme judiciaire (judicial activism) avec une Cour suprême hyper-activiste. Bref, Aharon Barak n’a cessé d’empiéter sur l’aire du gouvernement et de la Knesset tout en faisant verrouiller son système par une commission de nomination des juges, garantissant ainsi sa pérennité. Aharon Barak est à présent très anxieux face à la volonté de changement de l’actuel gouvernement quant à ce système de nomination. Par cette réforme, le mécanisme au sein de la commission de nomination devrait être sensiblement modifié avec six sièges sur neuf accordés au gouvernement et à la Knesset, les trois autres revenant au système judiciaire.

Second volet de la réforme en cours, la suppression du critère de “raisonnabilité”. Il n’est pas le fait d’Aharon Barak puisqu’il est présent dans le common law – voir the reasonable person standart. Ce n’est donc pas ce critère en lui-même qui pose problème en Israël, mais son utilisation forcenée par la Cour suprême. Alors que le critère de raisonnabilité n’était utilisé que pour sanctionner un excès de pouvoir, Aharon Barak en a fait un outil de contrôle de la Cour suprême sur les actes et décisions de l’administration, du gouvernement, des ministres, de l’armée, etc. Bref, l’actuelle réforme entend rendre plus raisonnable le critère de raisonnabilité, mettre fin à la toute-puissance de la Cour suprême et à l’incertitude juridique, si défavorable à l’économie du pays ainsi que nous l’avons dit.

Cette réforme répond à une question essentielle : à qui appartient le pouvoir dans une démocratie ? On connaît la réponse dans la conception traditionnelle de la démocratie. Or, par sa Révolution constitutionnelle, la Cour suprême a lentement mais sûrement érodé cette conception avec interventions à tout propos dans les processus législatifs de la Knesset. Ce qui était exceptionnel entre 1948 et 1992 est devenu systématique à partir de 1992.

Selon le projet de réforme judiciaire, l’annulation ou l’amendement d’une loi normale (et non une Loi fondamentale) par la Cour suprême ne pourra se faire que si les juges de la Cour suprême ont une majorité de 80 %. Par ailleurs, si la Knesset avait de son côté 61 députés (sur 120), elle aurait la possibilité de faire passer une loi refusée par la Cour suprême.

Sous l’impulsion de la Cour suprême, le conseiller juridique du Gouvernement ne se contente plus de donner de simples conseils au gouvernement ; et lorsqu’il exprime un avis contraire, le gouvernement se trouve sans défense juridique. C’est aussi à cette situation aberrante que la réforme entend mettre fin.

Les grandes manifestations qui ont eu lieu en Israël suite à l’annonce de la réforme judiciaire portée par le gouvernement de Benyamin Netanyahu voient s’opposer deux conceptions de la démocratie : la conception classique (qui repose sur la majorité) et l’actuelle conception (qui repose sur la “démocratie des valeurs”) avec, à l’arrière-plan, la coalition de droite (actuellement majoritaire à la Knesset) et l’opposition parlementaire soutenue par les grands médias. Dans cet affrontement se sont glissés des membres de l’establishment (judiciaire, sécuritaire, économique, médiatique, universitaire, etc.) qui tous ont un point commun : ils représentent des pouvoirs non élus.

L’ajournement de cette réforme sous des pressions tant intérieures qu’extérieures laisse entendre que les contre-pouvoirs (soit des pouvoirs non élus avec en tête la Cour suprême) sont devenus plus puissants que le pouvoir (le gouvernement et la Knesset, élus par le peuple). On en arrive aux droits de l’Homme (avec un grand H) opposés aux droits des citoyens, un processus entamé en Occident depuis des décennies, d’où l’intérêt particulier suscité en Occident par une affaire qui a priori ne concerne qu’Israël. La démocratie qu’est Israël avec un gouvernement et une Knesset élus au suffrage universel va-t-elle finir dominée par les juges de la Cour suprême et se faire “théocratie judiciaire” pour reprendre l’expression de Shmuel Trigano ?

Et nous terminerons sur ces mots de Pierre Manent que Pierre Lurçat cite volontiers dans ces pages : “Le pouvoir des juges aujourd’hui s’appuie ultimement non pas sur les lois de la nation considérée, non pas même sur sa Constitution, mais sur ce qui est au principe des lois et de la Constitution, à savoir les droits de l’homme et l’idée de l’humanité”. Les juges prétendent parler toujours plus au nom de l’humanité poussant de côté le citoyen, une tendance toujours plus marquée en Occident, ce qui explique le pouvoir toujours augmenté des juges, d’un “fondamentalisme juridique” laïc et le rejet de l’idée classique de la démocratie représentative et du pouvoir politique

Olivier Ypsilantis

Quelle démocratie pour Israël ? En lisant Pierre Lurçat – 2/2 – Zakhor Online (zakhor-online.com)

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22 mai 2023 1 22 /05 /mai /2023 08:04
Quelle démocratie pour Israël ? En lisant Pierre Lurçat – 1/2

J’ai devant moi la dernière parution de Pierre Lurçat : “Quelle démocratie pour Israël ?”, sous-titrée : “Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ?” Je vais en rendre compte, ce qui me permettra par ailleurs d’approfondir ma connaissance d’un sujet qui m’intrigue et me préoccupe.

Ainsi que le signale l’auteur en introduction, l’objectif de la réforme judiciaire en Israël n’est pas de mettre fin à la démocratie ainsi que le proclament ses opposants mais bien de la renforcer par un rééquilibre des pouvoirs. C’est ce que s’est proposé le gouvernement élu (en novembre 2022) en s’en prenant à la “Révolution constitutionnelle” conduite par le juge Aharon Barak dès le début des années 1990, une révolution qui pas à pas a donné un pouvoir extraordinaire à la Cour suprême, la Cour suprême qui en viendra à mettre son nez partout. Ce déséquilibre des pouvoirs s’étant produit petit à petit, insidieusement pourrait-on dire, la majorité des Israéliens ne semble pas en avoir pris note.

 

Aharon Barak

 

Pierre Lurçat se propose donc de nous aider à comprendre en élargissant l’angle de vision sur ce qu’il juge être un “véritable putsch judiciaire” afin de mieux comprendre l’enjeu de l’actuel débat en Israël.

Le système judiciaire et le droit israéliens sont les héritiers du mandat britannique en Palestine (1917-1948) qui lui-même conserve quelques traces du droit ottoman, la Palestine ayant appartenu à l’Empire ottoman.

En 2000, des cours administratives sont créées au sein des tribunaux de district, ce qui va permettre à la Cour suprême de se concentrer sur le contentieux public et “politique” suivant le plan d’Aharon Barak. Précisons que la Cour suprême est à la fois Cour d’appel et Haute Cour de Justice (en charge de l’examen des recours contre les décisions de l’administration). Avec la “Révolution constitutionnelle” cette deuxième fonction connaît une évolution dramatique à partir de 1992 tandis que cette première fonction n’est pas modifiée. Le président de la Cour suprême, soit le juge le plus ancien, chapeaute tout le système judiciaire en Israël.

De 1948 à 1992, la Cour suprême est en conformité avec la conception de Montesquieu quant au pouvoir judiciaire dans une démocratie, soit un pouvoir qui est tenu de s’effacer afin de laisser le peuple gouverner par l’intermédiaire de ses représentants élus. Ainsi, au cours de cette période, la Cour suprême s’abstient-elle d’intervenir dans des controverses à caractère politique ou social pour s’en tenir à des problèmes strictement juridiques. Autrement dit, la Cour suprême s’en tient alors aux questions de droit excluant les conflits politiques, les conflits de valeurs et les questions de société.

La justiciabilité est une notion essentielle en démocratie puisqu’elle permet de distinguer entre ce qui relève de la justice d’une part, du débat public et de la vie politique d’autre part. La justiciabilité, soit les limites objectives de la compétence judiciaire. Autre facette de la justiciabilité : l’intérêt à agir. Après avoir défini son aire d’action, la Cour suprême doit également examiner s’il y a un lien pertinent entre la personne requérante et l’objet de la requête. Ces deux critères (le caractère justiciable (la justiciabilité) et l’intérêt à agir) ont été modifiés en profondeur par la Révolution constitutionnelle conduite par Aharon Barak.

Pierre Lurçat nous donne quelques exemples considérés comme non justiciables avant 1992, soit deux arrêts distincts rendus en 1965, avec le refus de la Cour suprême de s’impliquer dans des questions relatives à la formation du gouvernement et l’accueil du premier ambassadeur d’Allemagne en Israël.

Les opposants à la réforme en cours prétendent qu’elle aurait pour effet de porter préjudice à la protection des droits de l’homme contre le gouvernement (l’exécutif) et la Knesset (le législatif). Pierre Lurçat déclare que la Cour suprême n’a pas besoin d’être activiste (voire hyper-activiste) pour défendre les droits de l’homme ; et pour illustrer son propos, il cite l’affaire Hadj Ahmed Abou Laban (1948), soit l’un des premiers arrêts rendus par la Cour suprême.

Question que nous sommes nombreux à nous poser : pourquoi Israël n’a pas de Constitution ? Israël n’a pas vraiment une Constitution telle que nous la connaissons par exemple en France et pour plusieurs raisons. Cette absence s’explique d’abord par “l’absence d’un consensus minimal sur les valeurs communes et sur l’identité profonde de l’État d’Israël”. Alors qu’Israël accède à l’indépendance, certains pensent doter le pays d’une Constitution formelle écrite. Précisons à ce propos que le cas d’Israël est loin d’être unique. La vieille démocratie anglaise n’a pas de Constitution écrite, et son influence sur le système juridique israélien a été considérable. Par ailleurs, les références politiques et juridiques de nombre de penseurs et responsables sionistes (dont Theodor Herzl) n’étaient pas celles du monde anglo-saxon mais essentiellement de la France et de l’Allemagne. Et les circonstances ont ajourné la formation d’une Assemblée constituante (la “première Knesset”) ; elle ne sera élue qu’après la fin de la Guerre d’Indépendance (1948-49) et elle ne travaillera pas à la rédaction d’une Constitution. L’ajournement de ce projet constitutionnel pourrait en partie s’expliquer par la pression des partis religieux, hostiles à toute Constitution laïque à laquelle ils opposent la Sainte Torah. Et ce projet de Constitution devait-il protéger le droit à la propriété privée dans un pays où la division entre une gauche sioniste socialiste et une droite sioniste libérale était marquée ?

David Ben Gourion insiste sur l’esprit de compromis dans tous les domaines et d’union à l’heure du danger. La première Knesset est dissoute en 1951 sans avoir élaboré une Constitution. Elle a toutefois adopté une résolution, la résolution Harari, un projet confié à la commission de la Constitution des Lois et des Droits et visant à préparer une Constitution pour l’État. Cette temporisation de David Ben Gourion sur la question de la Constitution pourrait avoir une autre explication : attendre que la majorité du peuple juif soit installée en Israël pour adopter une Constitution formelle.

Entre 1958 et 1992, neuf Lois fondamentales sont adoptées en application de la résolution Harari. A partir de 1992, le processus constitutionnel expérimente un profond changement d’orientation avec notamment l’adoption des Lois fondamentales sur la dignité et la liberté humaines et sur la liberté professionnelle, le tout interprété par Aharon Barak qui accélère le processus constitutionnel initié par la résolution Harari et marque une profonde rupture avec les législations des années 1948-1951.

Et nous abordons la deuxième partie de cette étude où est exposée la manière dont la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël. Mais tout d’abord, une question de lexique. Le judicial activism s’oppose au judicial restraint (voir Arthur Schlesinger). Les juges activistes estompent voire effacent la frontière entre droit et politique. Aux États-Unis le relatif équilibre entre juges partisans du judicial activism et juges partisans du judicial restraint a été rompu à partir des années 1970 par une figure devenue emblématique : Ruth Bader-Ginsburg, promotrice du judicial activism. Ruth Bader-Ginsburg et Aharon Barak ont une profonde estime l’un pour l’autre. Ils sont hyper-activistes en tant que juges. Ainsi, de “simple technicien du droit”, le juge se veut “architecte du changement social” pour reprendre les mots d’Aharon Barak. Il ne s’agit plus pour lui de se limiter à la technique juridique mais de s’adonner à la politique juridique. Il l’affirme déjà en 1975 alors qu’il n’est encore que professeur de droit. Pour Aharon Barak empiéter sur le domaine du législateur est non seulement légitime mais nécessaire.

Contrairement à la Cour suprême des États-Unis l’alternance est inexistante en Israël où la Cour suprême est devenue un bastion avec Aharon Barak, un bastion très fortement dominé par les ashkénazes, laïcs et de gauche. Bien qu’il s’en défende, Aharon Barak considère implicitement que l’élite de la société juive en Israël est constituée par les ashkénazes.

La Cour suprême représente aujourd’hui une minorité, tant d’un point de vue sociologique que politique. L’actuelle réforme judiciaire s’est donnée comme principal objectif de modifier le mode de nomination des juges dans le but d’en finir avec une prééminence que n’a que trop duré. L’expression “Révolution constitutionnelle” est d’Aharon Barak lui-même.

Quelques repères biographiques au sujet d’Aharon Barak. Aharon Barak est né en 1936 en Lituanie. Son enfance est marquée par la Shoah. Il émigre avec ses parents en Israël en 1947. Il passe son doctorat en droit et son ascension est rapide. Il est nommé procureur de l’État en 1975. Parvenu à ce poste, il engage des poursuites contre des personnalités publiques parmi lesquelles l’épouse du Premier ministre Itshak Rabin, Léa, Itshak Rabin qu’il invite “poliment” à démissionner, ce que fera le Premier ministre. Les élections portent Menahem Begin à la tête du gouvernement. Cette affaire (il ne s’agissait que de quelques centaines de dollars laissés sur un compte bancaire aux États-Unis où Itshak Rabin avait été ambassadeur) marque le début d’une période inédite dans les rapports entre les institutions judiciaires et l’exécutif. Sous l’impulsion d’Aharon Barak, conseiller juridique du gouvernement puis président de la Cour suprême, le pouvoir judiciaire va supplanter tous les autres pouvoirs du pays et radicalement. Nommé à la Cour suprême en 1978, Aharon Barak en est le président de 1995 à 2006, soit onze années au cours desquelles il conduit la “Révolution constitutionnelle”. Aharon Barak ne se contente pas de rédiger des jugements, il remue également des questions théoriques. Il se veut non seulement praticien mais aussi théoricien. Il faut lire son livre “Le rôle du juge dans une démocratie” dans lequel il expose sa vision de la démocratie, une vision fort éloignée de la vision classique. Pour Aharon Barak, et je cite Pierre Lurçat : “La démocratie n’est pas seulement une forme de régime politique, elle possède un contenu “substantiel”, à savoir un ensemble de droits qui sont au-dessus de l’ensemble des lois et qu’il appartient au juge de protéger”. On est bien loin de la conception de Montesquieu (conception classique). Aharon Barak bouleverse cette conception classique ; pour lui le pouvoir judiciaire est tout-puissant et a droit de regard et de censure sur l’exécutif et le législatif. Bref, selon lui, et ainsi qu’il le dit sans ambages, rien n’échappe au droit, à la norme juridique, y compris l’amitié et les pensées subjectives, l’autonomie de la volonté étant reconnue par la loi. Ainsi que le signale le juge Menahem Elon, spécialiste du droit hébraïque, “cette conception correspond à une vision du monde religieuse, et non à une conception juridique”. Cette appréciation quant à l’attitude d’Aharon Barak est partagée par plus d’un. Cette conception du droit omniprésent a été rapprochée par Aryeh Edrei de celle de la halakha du parti orthodoxe Agoudath Israel au début du XXe siècle. Il s’agit d’une extension du droit de regard des Sages de la Torah à des domaines qui a priori ne relèvent pas de celui de la loi juive, la loi juive qui entre commandements positifs et commandements négatifs laisse un immense espace où elle n’intervient pas, préservant ainsi la liberté de l’individu. Cette conception traditionnelle a été remise en question par l’Agoudath Israel qui a voulu imposer la loi juive dans des domaines comme la politique ou l’économie et autres domaines dont cette loi se tient traditionnellement à l’écart. Bref, il est possible d’établir un saisissant parallèle entre la démarche de l’Agoudath Israel et celle du juge Aharon Barak, entre le “Daat Torah” de l’Agoudath Israel et le “tout est justiciable” d’Aharon Barak dont le système judiciaire a décidément un caractère religieux marqué.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

Quelle démocratie pour Israël ? En lisant Pierre Lurçat – 1/2 – Zakhor Online (zakhor-online.com)

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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 16:49
ILS ONT LU “QUELLE DEMOCRATIE POUR ISRAEL?”

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

 

Liliane Messika, Mabatim

 

Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

 

Un ouvrage court et très agréable à lire”.

Bernard Abouaf, Radio Shalom

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël”.

Albert Lévy, Amazon

 

La violente polémique et les manifestations publiques incessantes suscitées depuis quelques mois en Israël par le projet de réforme judiciaire posent une question essentielle. Comment expliquer que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent en scandant « Démocratie ! », alors même que l’objectif affiché de la réforme judiciaire est précisément de renforcer la démocratie et l’équilibre des pouvoirs ? Il y a là, de toute évidence, deux conceptions opposées de la nature du régime démocratique.

Pour comprendre les enjeux de ce débat fondamental, il est nécessaire de revenir en arrière, aux débuts de la « Révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak dans les années 1980 et 1990. C’est depuis lors que la Cour suprême s’est octroyée la compétence de dire le droit à la place du législateur, d’annuler les décisions du gouvernement et de l’administration, les nominations de fonctionnaires et de ministres et les décisions des commandants de l’armée, etc. Aucun domaine n’échappe plus à son contrôle omniprésent.

Dans son nouveau livre, Pierre Lurçat retrace l’histoire de cette Révolution passée inaperçue du grand public et explique les enjeux du projet de réforme actuel, en la replaçant dans son contexte historique. Il rappelle ainsi pourquoi Israël ne possède pas de Constitution et montre comment l’extension du domaine de la compétence de la Cour suprême a affaibli les pouvoirs exécutif et législatif, en la transformant de facto en premier pouvoir.

Replaçant la problématique israélienne dans un contexte plus vaste – celui de la montée en puissance d’un « gouvernement des juges » dans la plupart des pays occidentaux, il s’interroge également sur les causes profondes de l’engouement pour la notion d’un pouvoir des juges et du rejet concomitant de la démocratie représentative et du pouvoir politique en général.

L’auteur

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris et vit à Jérusalem. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels des Préceptes tirés de la sagesse juive (Presses du Chatelet), Israël, le rêve inachevé (éditions de Paris), et Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain (éditions L’éléphant). Il a fondé en 2021 la Bibliothèque sioniste, qui vise à mettre à la portée du lectorat francophone les grands textes des fondateurs du mouvement sioniste et dirigeants de l’Etat d’Israël.

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5 mai 2022 4 05 /05 /mai /2022 08:15
Un livre à ne pas manquer : « Victor Soskice, de Pierre Lurçat »

En ces temps difficiles où la résistance à l’oppression semble atone, où l’on a parfois le sentiment que la jeunesse se désintéresse du politique et ne décolle pas de l’abstention, qu’elle reste imperméable à l’engagement politique et semble indifférente à l’héroïsme, valeur qui paraît désuète de nos jours et reléguée aux accessoires d’une histoire dépassée1, Pierre Lurçat nous livre un récit, à la fois foisonnant et poignant : celui d’un héros qui donna sa vie en s’engageant dans la résistance contre l’occupant nazi, durant la seconde guerre mondiale.

Pour l’auteur, Victor Soskice est d’abord un modèle : « Qui sauve un homme, sauve l’humanité ». L’exemplarité de l’engagement, jusqu’au sacrifice suprême, vient nous rappeler que, de tout temps, nous avons eu besoin de modèles lors de situations graves, afin de transcender le tragique de l’existence. Car c’est dans le dépassement de soi, dans son engagement, que l’homme donne un sens à sa vie. Aussi, l’on peut remercier l’auteur de nous rendre proche et familière une figure aussi belle, aussi touchante que celle du jeune Victor. Il était promis à un avenir heureux, grâce à une famille aimante, à des études solides et à sa fiancée Ginette qui ne fera jamais vraiment le deuil de ce grand amour.

Un livre qui se lit comme une enquête

Cette histoire est une quête, une aventure dans laquelle l’auteur est particulièrement impliqué puisque certains protagonistes sont des membres de sa famille. En effet, Jean Lurçat (grand-oncle de Pierre), artiste mondialement connu pour ses tapisseries, épousa en secondes noces, Rossane, la mère de Victor. C’est ainsi que ce garçon vécut toute son enfance avec Jean Lurçat qui l’éleva comme un fils et Rossane, sa mère, profondément attachée à cet enfant et qui ne comprit pas son engagement dans la résistance. Elle mourra d’un cancer, sans doute la conséquence de son chagrin inguérissable, en apprenant la disparition de son fils.

Ce livre est aussi la quête de la vérité, à travers les nombreuses rencontres émouvantes et profondes de l’auteur, avec ceux qui ont connu Victor, l’ont côtoyé, notamment à l’École Alsacienne, comme André Simon, que l’auteur rencontra presque par hasard, au kibboutz d’Ein Guedi où cet homme séjournait régulièrement. Cette rencontre allait être décisive puisque André Simon avait eu Victor pour condisciple et ami. De là, d’autres rencontres allaient s’enchaîner, s’agréger les unes aux autres pour donner vie à une figure exceptionnelle qui, sans cette recherche acharnée serait tombée dans l’oubli.

Ces rencontres ne sont pas tout à fait fortuites. Un fil invisible conduit chacun de nous, guidé par l’impérieuse curiosité de retrouver ceux qui, d’une manière, ou d’une autre, sont des figures importantes qui ont marqué notre vie. À cet égard, je serais tentée de rapprocher dans sa démarche, le livre de Pierre Lurçat avec la quête de Daniel Mendelsohn dans « Les Disparus »2 Peut-être que l’idée commune à ces deux ouvrages c’est le besoin de donner vie et chair aux disparus, de connaître leur ultime cheminement, jusqu’à la mort. Mais c’est aussi apprendre sur soi. Ce besoin impérieux qui nous dépasse étend ses ramifications qui font que cette dynamique tisse des liens avec les témoins, enrichit notre propre vie et construit lentement un récit qui donne forme à un être et l’arrache à l’oubli.

Ainsi, l’auteur verra s’ouvrir des pistes qui le conduiront à la rencontre de ceux qui, de près ou de loin se sont intéressés à l’existence de Victor Soskice, comme Caroline Eliacheff, psychanalyste et Aldo Naouri, son confrère, tous deux ayant bien connu l’énigmatique Ginette Raimbault, fiancée de Victor et surnommée le Sphynx. La fiancée de Victor était aussi une psychanalyste reconnue. Malgré des contacts professionnels réguliers et très amicaux au cours de longues années, Ginette taira jusqu’à sa mort l’existence de Victor qui avait tenu une place si importante dans sa vie. Ce silence, quasi sacré était-il le fruit d’un deuil impossible, comme s’il fallait garder au fond de soi, comme en une crypte sacrée, l’image de l’absent ? Cependant, elle avait mené de son côté des recherches sur la disparition de Victor, quand elle fut à la retraite. Les livres qu’elle avait écrits : « Parlons du deuil » et « Lorsque l’enfant disparaît », témoignent d’une quête silencieuse sur la perte, jamais abandonnée. Elle consacra les dernières années de sa vie à rechercher la trace de Victor jusqu’à l’ultime moment de son exécution.

Le choix de l’engagement

L’enfance de Victor fut heureuse. Cependant, sa mère avait voulu l’envoyer chez son père biologique à New York pour l’éloigner de la France occupée par les Allemands. Il va donc étudier au lycée français de New York et sera bachelier en 1941. Puis il entre à l’Université de Georgetown. C’est là que, promis à de brillantes études, il va décider de s’engager dans la lutte contre le nazisme en France occupée ; c’est pour lui un cas de conscience déchirant, car il s’est fiancé à Ginette, envoyée elle aussi par ses parents au Lycée français de New York pour fuir la France occupée. Cependant, la détermination de Victor est totale. Il faut signaler aussi qu’il a sans doute été influencé dans son choix par les récits de son père adoptif Jean Lurçat qui participa à la guerre d’Espagne. Cette expérience exerça sur lui une fascination/répulsion qu’il partagea avec l’enfant.

Des éléments historiques peu connus du grand public

C’est à l’université de Georgetown que Victor va nouer des liens d’amitié avec le fils d’un avocat qui travaille avec Bill Donovan : créateur de l’OSS (Office of Strategic Services). Cet homme était très favorable à l’engagement des Américains dans la guerre contre l’Allemagne. Après bien des péripéties, Donovan va créer un service de renseignements et organiser la guerre subversive sur le sol français avec le soutien actif de Churchill et du roi Georges VI.

Après avoir été accepté dans l’OSS, il suit d’abord un entraînement militaire aux EU puis il sera envoyé en Angleterre pour parfaire cette formation et sera recruté par le SOE (Direction des Opérations Spéciales). C’est de là qu’il sera parachuté en France – ce pays qu’il connaît bien pour y avoir passé son enfance. Il n’a que 19 ans. En Angleterre il est estimé de ses supérieurs et est promu au rang de sous-lieutenant.

Grâce au journal de Hugh Dormer qui a relaté les détails de l’expédition en France, Pierre Lurçat nous donne un compte rendu précis, détaillé et haletant des préparatifs minutieusement mis au point de l’opération « Scullion3 » qui devait se dérouler en France en août 1943. Opération complexe qui demandait à chacun des protagonistes un sang-froid absolu.

Après l’opération réussie, les activistes se séparèrent. Dormer et Birch son compatriote réussirent à passer en Espagne mais les autres furent arrêtés par la Gestapo. Et là, s’arrête la trace de Victor.

Cependant, la vérité sur la disparition de Victor ne verra le jour que bien des années plus tard. Pour la ménager, on avait fait croire à Rossane que son fils était mort au cours d’une opération militaire peu avant la fin de la guerre. Cette version avait été inventée par les proches de Victor pour atténuer la douleur de sa mère car on savait que ceux qui tombaient aux mains de la Gestapo devaient subir les pires sévices.

Le long périple de Pierre et de Judith, sa compagne, pour retrouver les traces de Victor Soskice dura plusieurs années. Il donna lieu à de nombreuses rencontres avec des associations et des personnes ayant connu le jeune homme. Les poèmes de sa mère Rossane, écrits après la disparition de son fils, expriment de façon vivante l’amour d’une mère pour son fils, ce jeune homme dont la vie aurait pu être lumineuse mais qui, comme beaucoup d’autres ne pouvait supporter l’occupation étrangère et sa barbarie. À l’amour de la vie, il a préféré le sacrifice ultime, par idéal sans doute, mais l’idéal, lorsqu’il est suivi d’action, n’est jamais vain.

Et le sort de Victor fait écho, pour moi, au film de Terence Malick : « Une vie cachée », film magnifique sur le refus d’un paysan autrichien de faire le salut hitlérien. Ce refus – véritable cas de conscience – car il a une famille et une femme qu’il aime passionnément, il le maintiendra jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Ce film n’a pas connu, hélas, l’enthousiasme de la presse ; sans doute parce que le héros est chrétien et que sa foi lui dicte de ne pas se compromettre avec le mal. Cela illustre à quel point notre société et la critique bien-pensante, se sont détournées de la transcendance, de ce qui élève l’esprit, de ce qu’est le dépassement de soi.

Le beau livre de Pierre Lurçat, empli d’une profonde empathie pour son héros, se lit comme un puzzle, au fur et à mesure que les informations se dévoilent, grâce au patient travail d’investigation de l’auteur.

Ainsi les évènements s’enchâssent les uns dans les autres et font revivre des figures d’exception, figures héroïques dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Victor Soskice, après avoir été torturé à Paris, fut envoyé au camp de Flossenbürg en Allemagne où il fut pendu avec ses camarades anglais. Ses restes n’ont pas été retrouvés et il fut sans doute incinéré dans le crématoire du camp. ET

Évelyne Tschirhart, MABATIM.INFO


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Victor Soskice. Qui sauve un homme sauve l’humanité. Éditions L’éléphant. 2022. En vente sur Amazon et BoD et dans toutes les bonnes librairies.

1 Pourtant, le nombre de jeunes enthousiastes qui ont travaillé aux côtés d’Eric Zemmour pour bâtir « Reconquête » vient infirmer mon propos…

2 Daniel Mendelsohn : « Les Disparus » Flammarion 2007 pour la traduction française.

3 Nom donné aux deux opérations de sabotage sur le territoire français.

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31 mars 2022 4 31 /03 /mars /2022 16:58

Éditions L’éléphant

Paris-Jérusalem

 

Parution du livre

“Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l’humanité”

 

Fils adoptif de l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre.

 

Récit d’une enquête sur les traces de Victor, héros de l’histoire familiale de l’auteur et de la grande Histoire, ce livre est aussi une recherche de la vérité et de la mémoire et une réflexion sur l’héroïsme, valeur dont on retrouve aujourd’hui le caractère essentiel. On y découvre, outre la figure attachante de ce héros mort à 22 ans, celles des personnes qui l’ont connu et aimé, et notamment sa mère, l’artiste d’avant-garde Rossane Thimoteeff et sa fiancée, la psychanalyste Ginette Raimbault. Un récit poignant et captivant.

 

 

 

 

L’auteur

 

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris et vit à Jérusalem. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels des Préceptes tirés de la sagesse juive (Presses du Chatelet)Israël, le rêve inachevé (éditions de Paris), et Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Il a fondé en 2021 la Bibliothèque sioniste, qui vise à mettre à la portée du lectorat francophone les grands textes des fondateurs du mouvement sioniste et dirigeants de l’Etat d’Israël.

 

 

Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à

editionslelephant@gmail.com

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20 janvier 2022 4 20 /01 /janvier /2022 17:40
Jean-Pierre Allali a lu "Seuls dans l'Arche, Israël laboratoire du monde"

Je reproduis ici la recension de mon livre Seuls dans l'Arche par Jean-Pierre Allali, publiée sur le site du CRIF. Jean-Pierre Allali, lui-même écrivain et journaliste, accomplit depuis des années un travail remarquable de lecture et de recension sur le site du CRIF. Il lit un nombre de livres considérable, qui concernent de près ou de loin le judaïsme et Israël, et dont la plupart sont - comme le mien - publiés à compte d'auteur ou chez des petits éditeurs qui n'ont pas les honneurs des grands médias. Qu'il en soit ici remercié. P. Lurçat

 

Seuls dans l’Arche ? Israël, laboratoire du monde, par Pierre Lurçat (*)

 

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris avant de faire son alyah. Il vit désormais à Jérusalem. Comme de nombreux intellectuels, il a été fortement secoué par la pandémie de Covid-19 qui a atteint la planète de plein fouet, désemparant le monde. Et comme chaque grande crise, cette catastrophe universelle aura été l’occasion d’une réflexion profonde. Avec, en toile de fond, l’espérance qu’il ressortira finalement un bien de cette terrible période.

Déjà, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le célèbre rav Abraham Kook avait pressenti l’émergence d’un monde nouveau. Lurçat, dans son bel exposé, en appelle à bien des penseurs : Aristote, Maïmonide, Husserl, Bonnefoy, Marty, Proust,Jaccottet, Arendt, Levinas, Braunstein, Peter Singer, Henri Baruk, Harari,Fondane, Benamozegh, Nietzsche, Huxley, Ellul, Gauchet…

Le monde se retrouve aujourd’hui dans une sorte d’Arche de Noé. Dès lors, on peut se demander : « La crise actuelle, qui affecte chacun de nos actes quotidiens les plus élémentaires, n’est-elle pas ainsi une ‘revanche’ inattendue de la vieille pensée anthropocentrique de Jérusalem sur la vision cosmocentrique, issue des Grecs et de la science moderne, dont le triomphe a été annoncé trop hâtivement ? »

 

Il faut impérativement, nous dit Lurçat, remettre l’homme au centre du monde et retrouver un langage vrai, une parole poétique et prophétique. Car l’heure est grave. « Le 20ème siècle avait proclamé la « mort de Dieu ». Le 21ème siècle sera-t-il celui de la fin de l’homme ? »

Le judaïsme, parce qu’il a toujours prôné la fraternité et l’amour du prochain, peut offrir une piste de réflexion. D’une manière générale, il conviendra de réhabiliter l’État pour refonder la politique.

Israël, dont les médias du monde entier ont vanté la parfaite gestion de la crise du Covid-19, pourrait, nous dit Lurçat, en réinsufflant l’esprit des Prophètes, devenir un phare pour les nations désemparées.

« Aujourd’hui, alors qu’il est revenu sur sa terre pour ne plus la quitter, le peuple d’Israël doit redevenir le première source de l’inspiration de la politique moderne, en faisant revivre l’ancienne notion de la royauté de David, Malhout Israël, pour éclairer et ré-enchanter le monde ».

C’est Israël, laboratoire du monde, qui a vocation à nous sauver du nouveau Déluge.

Remarquable !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Autoédition.  2021. 128 pages.

 

http://www.crif.org/fr/content/lectures-de-jean-pierre-allali-seuls-dans-l%E2%80%99arche-isra%C3%ABl-laboratoire-du-monde-par-pierre

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