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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 17:44

Venant de relire pour la énième fois le très beau roman de Chaim Potok, Le Livre des Lumières, je saisis l'occasion pour republier cet article paru autrefois dans le regretté magazine culturel VISION D'ISRAEL.

 

PotokR375 16feb09Chaïm Potok (1929-2002) occupe une place de choix parmi les écrivains juifs américains du vingtième siècle. Il est en effet - aux côtés d’Isaac Bashevis Singer, de Bernard Malamud, de Saül Bellow ou de Cynthia Ozik – un des représentants les plus talentueux de cette « école juive de New York » qui a produit certains des plus grands romans du siècle passé. Mais il est aussi un de ceux qui ont donné le contenu le plus juif et le plus universel à cette forme particulière de l’écriture romanesque, devenue presque un genre littéraire sui generis : le roman juif américain.

 

 

Né en 1929 à New York, dans le Bronx, Herman Harold Potok est le fils d’immigrants juifs de Pologne. Son père, Benjamin Max, est horloger et bijoutier. Ses parents lui donnent une éducation juive orthodoxe. Très jeune, il se met à dévorer les auteurs classiques américains (James Joyce, Ernest Hemingway, William Faulkner) et européens (Thomas Mann, Evelyn Waugh). Il poursuit ses études juives jusqu’à son ordination comme rabbin (par le Jewish Theological Seminary, affilié au courant conservative), à l’âge de 25 ans. Parallèlement, il obtient un diplôme de littérature anglaise à la Yeshiva University. Son intérêt pour le judaïsme et pour l’écriture va déterminer sa carrière rabbinique et littéraire.

 

En 1955, Potok est envoyé en tant qu’aumônier militaire en Corée du Sud, où il passe deux ans. Cette expérience lui inspirera un de ses plus beaux livres, Le Livre des lumières (The Book of Lights) publié en 1981. Il se marie en 1958 avec Adena Sara Mosevitzky, qui lui donnera trois enfants. Entre 1964 et 1975, il est rédacteur en chef de la Jewish Publication Society et de la revue Conservative Judaism. Son premier roman, L’élu (The Chosen) paraît en 1967 et révèle immédiatement son talent littéraire. Adapté au cinéma en 1981, il fait l’objet d’une suite, La Promesse, publiée en 1969. Entre 1967 et 1990, Potok publie ses plus grands romans : Je m’appelle Asher Lev (1972), Au commencement (1975), Le Livre des lumières (1981), La Harpe de Davita (1985), et Le don d’Asher Lev (1990). Son œuvre romanesque est traduite en de nombreuses langues et publiée en France chez Buchet Chastel.

 

 

Un maître de l’écriture romanesque

 

Outre ses romans précités, Potok a également publié des livres pour enfants et une Histoire du Peuple Juif. Mais l’aspect le plus marquant de son écriture est indéniablement son immense talent romanesque. Si les livres de Potok ont connu un tel succès, aux Etats-Unis (où son premier roman, L’élu, s’est vendu à 3 millions d’exemplaires) et à l’étranger, c’est d’abord parce qu’il a su donner vie à des personnages inoubliables : Reuven Malter et Danny Sanders (L’élu, La Promesse), Asher Lev (Je m’appelle Asher Lev, Le don d’Asher Lev), ou Gershon Loran (Le Livre des Lumières) qui comptent parmi les plus beaux héros de romans du vingtième siècle.

 

Le talent de Potok réside à la fois dans sa technique romanesque, dans son style (qui a été comparé à celui d’Hemingway) et dans le contenu de ses livres. A cet égard, il est un parfait exemple de romancier juif au plein sens du terme, qui décrit un monde dans lequel le judaïsme n’est pas seulement une origine familiale ou un destin imposé par l’histoire, mais une vocation librement consentie et vécue dans toute sa richesse humaine et spirituelle.

 

Cette caractéristique des romans de Potok est particulièrement frappante si l’on compare son œuvre à celle des autres grands écrivains de l’école juive de New York. Bashevis Singer, son illustre aîné, a atteint une notoriété mondiale en dépeignant l’existence juive en Pologne avant la Shoah et en Amérique. Mais les personnages juifs de Singer sont le plus souvent des étudiants juifs de yeshivot qui ont quitté le monde juif traditionnel – comme Singer lui-même, fils de rabbin – pour rejoindre celui de l’Occident, en Europe ou aux Etats-Unis. Chez Potok, les héros juifs sont enracinés dans la communauté hassidique new-yorkaise, et même ceux qui choisissent une voie différente, à l’instar d’Asher Lev, restent membres de cette communauté, au prix de déchirements et de conflits très difficiles.

 


A la recherche du « paradis mystérieux de la tradition »

 

Ce contenu juif des romans de Potok, c’est d’abord celui du hassidisme et du mouvement Habad, dont il a décrit le développement en Amérique de manière fidèle et inspirée. Les pages de ses romans (Je m’appelle Asher Lev notamment) où il décrit le Rabbi et ses fidèles dans la communauté Habad new-yorkaise comptent parmi les plus belles de son œuvre. Avec un talent inégalé, Potok a su rendre de manière romancée l’existence de cette communauté et l’incroyable volonté de reconstruire le judaïsme qui animait le Rabbi de Loubavitch après la Shoah. Rien que pour cela, Potok mérite d’entrer au panthéon de la littérature juive contemporaine.

 

Mais au-delà même de cette description authentique et vivante, il réussit à faire partager au lecteur la tension qui anime ses personnages, partagés entre la fidélité à la tradition dans laquelle ils ont grandi et leurs aspirations intellectuelles, artistiques ou professionnelles. Ce thème omniprésent chez Potok, qui lui a été inspiré par sa propre adolescence (il avait pensé devenir peintre, ce qui était inconcevable dans le milieu juif orthodoxe où il a grandi), confère à ses livres leur force et leur attrait particulier pour les lecteurs de notre génération.

 

A la différence d’un Bashevis Singer dont les personnages appartiennent à une génération qui voulait quitter l’univers de la Tradition, trop étroit à leurs yeux, pour découvrir le monde extérieur, Potok décrit des héros enracinés dans cette Tradition, qui ne veulent pas s’en éloigner, mais la concilier avec leurs aspirations personnelles (il n’est pas fortuit que Potok ait été longtemps membre du courant conservative). Un critique français a écrit que les livres de Potok parlaient à notre génération qui était celle du retour et de la recherche de Dieu.

 

Plus précisément, nous sommes ce que Gershon Loran (le héros du Livre des lumières, qui n’est autre que Potok lui-même) appelle des « Zwischenmenschen », des personnes-entre-les-deux, qui n’appartiennent ni totalement au monde de la Tradition, ni totalement à celui de l’Occident moderne. Et c’est pour cela que ses livres nous touchent et nous émeuvent si profondément, parce qu’ils nous parlent de notre propre expérience et de notre recherche d’un paradis juif dont nous avons été éloignés, ce « paradis mystérieux de la tradition » (Jacob Gordin). J’envie le lecteur qui n’a pas encore lu Chaïm Potok, et qui va découvrir un des romanciers juifs les plus attachants et les plus authentiques.

 

 

Itshak Lurçat

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