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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 14:09

product_9782070139019_195x320.jpg«Vivre est devenu pour moi ce sentiment : n'être déjà plus d'ici sans avoir encore quitté les lieux. Quand une jeune fille meurt, elle fait mourir les autres, autour. Voilà ce que m'a appris Julie.»
En racontant l'histoire de son amie de lycée et le mystère insupportable de sa disparition, Clémence Boulouque nous offre une réflexion grave et tendue sur l'adolescence, la résilience et le pouvoir de l'écriture. On retrouve dans ce texte poignant l'intensité exceptionnelle de son premier récit, Mort d'un silence, paru il y a tout juste dix ans.

 

Découvrez un extrait de "Je n'emporte rien du monde" :

 

Elle n’est pas mon héroïne. Elle est mon double. La tristesse qui se plante dans un sourire, l’inconsolable d’une vie. Elle est ce qu’il ne faudrait pas. Elle est « elle l’a fait » — un regret, une question, un irréel du passé et du présent. De tous ses talents ne reste que leur énumération, et cet à-pic auquel elle nous a, avec elle, tous condamnés. Elle n’a rien prouvé par sa mort, seulement par ses jours: douée pour la vie comme elle ne s’en doutait pas. Douée de vie, à en exister encore, si fortement, malgré les années.

 

            À chaque adolescent qui voudrait s’arracher à la vie, j’aimerais murmurer que tout ira bien, que rien n’est si grave, au fond. Que la réussite n’est rien qu’une façon plus ou moins habile de déguiser les incessants échecs d’une vie. Sur des cahiers, les ratures sont jolies, elles donnent au texte une force, un rythme, une ondulation. Une pause.

 

            Je suis devenue l’enseignante qu’elle voulait être, et je la cherche parfois parmi mes étudiants. Je scrute les regards qui se perdent, fais des cours sur les littératures sacrées, explique des adages ou des paraboles dont j’espère qu’ils seront des compresses si une blessure se met à suppurer. Mais que peuvent les mots contre un spasme ? Que peuvent toutes les présences contre trop de souffrance ou d’emportement ? Peut-on apprendre à supporter les ratages, le temps qui refuse de passer, les yeux brûlés ?

 

            Pourtant je veux croire que l’étude est un écran entre les douleurs et la vie, qu’apprendre sera toujours un placebo, un substitut de sagesse puisque le sens ultime de notre sort nous échappe, mais que c’est là un tissage, une manière de lier ce qui semble ne pas pouvoir l’être, un réconfort, une façon de rendre tolérables des questions sans réponse en en résolvant d’autres. Et je parie sur les mots comme sur des ricochets, sur des échos. Pour empêcher, peut-être, que nous soyons encore plus nombreux à porter ces deuils d’adolescence.

 

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Je-n-emporte-rien-du-monde

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