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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 13:25

N.B J'ai le grand plaisir d'annoncer la parution du livre Un parapluie pour monter jusqu'au ciel. Dans ce livre de souvenirs inédit, ma mère relate son enfance entre Paris et la Palestine mandataire dans les années 1930, son internement à Drancy et la guerre. Le livre est disponible sur Amazon. Je publie ci-après un extrait.

 

"Des Juifs qui partent pour la Palestine, il y en a beaucoup. Certains d’entre eux repartent, et qui ne l’auraient pas désiré. C’est ce qui arriva à mes parents. C’est pourquoi je peux raconter cette histoire en français, ma langue presque maternelle. Presque, parce que j’ai eu la chance d’entrer à l’école maternelle à l’âge de vingt mois. On ne l’accorde pas à tout le monde, mais moi, j’avais des circonstances atténuantes.

Ces circonstances, elles ont débuté après la guerre de quatorze quand, en même temps mais sans se connaître, les parents décidèrent de partir pour la Palestine. Il quitte Cracovie en Pologne, et elle quitte Bialystok en Russie, pour la même raison : les pogromes en Europe centrale. Ils se marient à Jérusalem, et ils y eurent deux enfants, mon frère Menahem et moi. Elle parle russe et yiddish, et il parle allemand, polonais et yiddish. Le yiddish devient la langue du ménage.

 

Images of the Bialystok Ghetto (6 of 28)

Bialystok

 

Le père a des sympathies pour les idées de gauche et il travaille dans un kibboutz. Il ne trouve plus de travail, quand ses amis décident de repartir en Géorgie, attirés par le communisme, pour y fonder un kolkhoze. Le père est alors mis sur la liste noire, il est chômeur, il n’a plus guère de chance de trouver un emploi. Il passe ses longues journées à la bibliothèque de Jérusalem. Mais la loi anglaise est dure. En particulier, lorsqu’on ne peut plus payer son loyer, on risque la prison pour dette. Le père se rappelle alors qu’un de ses frères, qu’une de ses soeurs, ont quitté Cracovie pour Paris, quand lui choisissait la Palestine. Il embarque avec sa famille au cours de l’hiver 1930, dans l’espoir de trouver à gagner son pain en France.

 

Au cours de cette traversée, mon frère aîné, âgé de quatre ans, apprend auprès des matelots, les premiers rudiments de français, qui feront de lui l’interprète de la famille. Le premier hiver parisien semble rude, après dix ans de vie au soleil. La quête du travail est difficile aussi. Les parents trouvent à se loger dans un hôtel de la rue des Carmes, où habitent déjà la soeur du père, Minnie, et sa famille. Elle n’a pas eu de chance. Son mari est repasseur de chapeaux, excellent ouvrier et bon travailleur. Mais il passe tout son temps libre au café et y joue tout ce qu’il gagne. Si elle se plaint trop, il est atteint de crises d’épilepsie. La mère prétend qu’il simule. Mais de l’argent, il n’en rapporte guère et les siens vivent misérablement. Mes parents, eux, ont besoin de gagner des sous. Ils partent dès le matin à la recherche d’un emploi. Minie nous garde, Menahem et moi, pendant qu’on joue sur le trottoir. Pas très attentivement, sans doute, puisqu’on disparaît un jour. Les parents nous retrouvent le soir, après une course affolée jusqu’au commissariat, installés confortablement tous les deux. Mon frère mange des chocolats, et moi je dors sur un banc. Le commissaire engage vivement les parents à nous mettre à l’école.


Paris en 1939 aux prémices de la guerre – Paris ZigZag | Insolite & Secret

Paris, les quais de la Seine 1939

 

L’école maternelle de la rue du Sommerard, c’est ma première école. On descend la rue des Carmes, en tenant la petite mallette du goûter d’un main, et en tendant l’autre au grand cousin qui vous y conduit. Je m’arrête longuement devant le magasin de farces et attrapes. On tourne dans la rue du Sommerard, et c’est l’école. On entre par la petite porte, qui ressemble à une chatière. Dans le préau, les bancs sont soigneusement rangés pour l’attente du soir. Au milieu, il y a un énorme poêle à charbon, entouré d’une grille. Tout autour du préau, se trouvent les classes, et dans chaque classe une maîtresse. Mais celle qui règne sans partage sur le préau, c’est madame Jamart, la femme de service...

 

Les parents ont trouvé du travail. Ils ont quitté la rue des Carmes, ils déménagent à plusieurs reprises, sans jamais aller très loin. De la rue des Carmes à la rue Laplace, de la rue Laplace à la rue de l’École Polytechnique, de la rue de l’école Polytechnique à la rue de la Montagne Saint Geneviève. Le principal motif des changements vient des punaises. Le père retourne la literie, explore les sommiers, fait brûler du soufre, mais elles reviennent sans cesse. Rue Laplace, c’est pourtant gentil, il y a un balcon de bois sur une rue et tous les deux, mon frère et moi, on crache sur la tête des passants. Rue de l’école Polytechnique, l’unique pièce est immense, sans eau ni gaz, ni électricité. Les parents ont l’habitude, depuis la Palestine, de faire la cuisine sur un petit réchaud à pétrole. Les voisins de palier sont comme nous, des étrangers, des Russes blancs, il y en a beaucoup dans le quartier. La mère parle russe avec eux. Lui, c’est un noble, il est encore jeune mais il ne travaille pas. Il s’est marié avec sa nounou, qui est plus âgée que lui et continue de le nourrir. Il boit beaucoup et il la frappe. Moi je joue dans la rue, en face, avec le petit chien noir de la quincaillère. Elle a un grand magasin, un petit chien noir mais pas d’enfant, et elle veut m’adopter. Elle promet à la mère une vie de rêve pour sa fille : le lycée et les vacances à Nice. La mère ne veut pas.

 

D’ailleurs, il y a à manger pour tous. On achète de la viande hachée pour faire des boulettes et on ajoute du pain trempé. Plus il y a de convives, plus on ajoute de pain. Les convives ne manquent pas, ce sont des amis du père. Ils viennent de Palestine. Ils dorment sur le sol, quelques jours, puis ils disparaissent. L’un va en Amérique, l’autre en Australie, d’autres s’engagent en Espagne. La mère dit que chez nous, il y a toujours de la place pour dormir. Rue de l’école Polytechnique, il y a un marchand de parapluies ; dans sa vitrine, il y en a un tout petit, ouvert. J’ai longtemps cru qu’avec ce petit parapluie là, on pouvait monter jusqu’au ciel.

 

Le père est ouvrier du bâtiment. La mère vend de la bonnetterie à la sauvette, sur les marchés. On vit de peu, on met des sous de côté pour retourner en Palestine. Ici, ce n’est pas la vraie vie, c’est l’attente. Une très longue attente : jamais les parents ne s’installeront en France, mais jamais non plus ils ne retourneront en Palestine, sauf une fois, trois ans après leur arrivée en France.

 

Un chamelier à Jérusalem, 1928

 

La famille s’embarque un jour pour la Palestine. On voyage à cinq, Sami, le petit frère né à Paris, est de l’expédition. On voyage en quatrième, parce qu’il n’y a pas de cinquième classe, a dit le père. On complète les repas avec du hareng fumé. Les souvenirs de la Palestine se confondent avec la légende familiale : les oranges sont grosses comme ça et il y pousse des bananes. Les rues de Jérusalem sont en terre battue et les Arabes se promènent avec des chameaux. Il y a aussi une école, mais pas comme rue du Sommerard : on soulève les pupitres pour s’asseoir et on goûte le matin, à la récréation de dix heures. La Palestine est pleine d’oncles, de tantes, de cousins. La mère a trois soeurs qui vivent là, elles sont petites, grasses, elles ont les lèvres très charnues et les seins lourds. Elles parlent fort, et beaucoup, en yiddish, en russe… Elles débordent de gestes affectueux et elles m’embrassent sur les lèvres. Les oncles parlent moins. L’un d’eux sa balance sur un fauteuil en mangeant des noisettes… Les tantes me prennent en main. L’une d’elles m’emmène au mur des Lamentations, les gens pleurent et ils se prosternent, l’embrassent... 

 

Liliane Lurçat

Liliane Lurçat z.l.

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8 novembre 2019 5 08 /11 /novembre /2019 15:22
En librairie : Alors vient la lumière de Léa Goldberg

Présentation de l'éditeur (Editions H et O)

 

Été 1931. Après une année passée à Berlin pour ses études, Nora Krieger revient dans la petite communauté juive d’une ville de Lituanie dont elle est originaire. Elle y retrouve toute la pesanteur familiale qu’elle a voulu fuir et un père que des tortures subies pendant la Première Guerre mondiale ont, dit-on, rendu fou. Elle renoue non sans difficultés avec ses amis d’enfance et rencontre un personnage charismatique, Albert Arin, dont elle s’éprend secrètement malgré la différence d’âge qui les sépare. Mais cet amour est-il réciproque ? Est-il même sensé ? Et, tandis que l’antisémitisme se répand partout en Europe, Nora pourra-t-elle longtemps échapper à la folie qui semble être le destin de toute sa famille ?

À PROPOS DE L'AUTEUR
Léa Goldberg

Figure emblématique de la scène littéraire israélienne du XXe siècle, Léa Goldberg est surtout connue pour sa poésie et ses livres pour enfants. Initialement paru en 1946, Alors vient la lumière fut le premier roman publié en hébreu par une femme. Largement autobiographique, il nous invite avec délicatesse à partager les questionnements d’une jeune femme juive de l’entre-deux-guerres.

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:03
Au nom des morts discrets, de Eliane Setbon-Lezmy

Moins de 24,000 morts Palestiniens et 28,000 morts Israéliens en 70 ans ! 
L'inquiétude sécuritaire Israélienne n'est-elle pas disproportionnée, en comparaison des problèmes sociaux et environnementaux tant occultés du gouvernement? 
Eliane en a fait les lourds frais. Elle nous raconte son parcours et son combat pour la vie. Pour l’amour de son pays et de son peuple, elle en prend la peine. Elle veut être un lanceur d’alerte pour que les israéliens se réveillent et prennent en charge leur destinée. Les détails de son récit suivent, pas à pas, ce à quoi, à sa grande stupéfaction, elle a dû être confrontée: 
la corruption, les dysfonctionnements dans le système de soins, les incompétences et le poids de l’administration. 
S'il est trop tard pour sauver ses poumons, elle veut sauver au moins les vôtres. 
Eliane a initié le mouvement social, environnemental Nikion Kapaïm (Les Incorruptibles).

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