http://www.lepoint.fr/culture/ecrivains-sous-l-occupation-voir-et-comprendre-13-06-2011-1341409_3.php?xtor=EPR-6-[Newsletter-Quotidienne]-20110613
Quel fut le rôle des écrivains et intellectuels français dans la période tragique de l'Occupation ? Leurs tentations, leurs hésitations, leurs combats, leurs lâchetés, et comment vécurent ceux, prisonniers, déportés, qui étaient confrontés à l'inéluctable ? Cette exposition historique à double titre, qui voyage depuis trois ans et a connu un grand succès à New York, s'arrête à l'hôtel de ville de Paris. Elle est gratuite et il ne faut pas la manquer.
C'est d'abord la presse, à travers les unes des journaux de tous bords, qui raconte ces années noires. Et, à un autre niveau déjà, les revues, qui tissèrent un réseau dont on peine aujourd'hui à mesurer l'importance... Une grande carte de Paris littéraire situe les lieux d'une intense activité toutes professions confondues. Et, au long des travées, 800 pièces d'archives donnent à comprendre et à ressentir les enjeux aussi nombreux qu'énormes de cette période.
Éluard et Mounier contre Drieu La Rochelle et Céline
On doit cette profusion, rigoureusement maîtrisée par période et par thème, à l'Institut mémoires de l'édition contemporaine, qui a rarement aussi bien porté son nom, puisant dans ses fonds d'archives (écrivains, éditeurs, presse...) des documents de diverses natures, correspondances, photographies, papiers administratifs, manuscrits et jusqu'aux impressionnantes boîtes en bois contenant les fiches de la liste Otto.
Suivre les itinéraires singuliers plutôt que d'opposer les grands noms de la Résistance, Pierre Seghers, Paul Éluard, Pierre Emmanuel, Emmanuel Mounier ou Max-Pol Fouchet, à ceux de la Collaboration, Céline, Drieu La Rochelle ou Jouhandeau, tel est le parti pris d'un parcours qui demande temps et attention, mais c'est la condition d'une cartographie nuancée. Les différentes parties, de "Résister" à "Solidarités internationales", attendent le visiteur, guidé dans chacune par des cartels clairs et détaillés, qu'il s'agisse de L'honneur des poètes (éditions de Minuit) ou encore de l'histoire de la célèbre NRF.
"Il s'apprête à tirer le rideau sur lui-même"
À ce sujet, il faut s'approcher de la vitrine consacrée à Drieu La Rochelle pour lire ses échanges avec Maurice Sachs, et ce témoignage sur l'intellectuel que son choix va condamner : "Il s'apprête à tirer le rideau sur lui-même." Lire aussi cette lettre que Georges Hyvernaud, prisonnier, écrivit à sa petite-fille et ne lui enverra pas : "Jouer aux idées, cela m'est arrivé à moi aussi. Autrefois. Ce n'est pas tellement difficile : tout le secret est de faire comme si la réalité n'existait pas. Mais quand on y est en plein, dans la réalité, on ne se dit plus que deux ou trois choses banales. Deux ou trois choses qui comptent vraiment. Évidentes, essentielles. Des choses sérieuses. Nées d'une expérience sans tricherie. Des choses d'homme. Le reste, bon pour les singes de salon ou d'académie."
Lire encore, sous la plume de Marguerite Duras, ces mots à Robert Antelme : "Tu es vivant." Il faudrait tout lire ! Heureusement, le catalogue réédité par Taillandier attend le visiteur pour retrouver les moments d'émotion qui l'auront parfois pris à la gorge en se penchant sur les vitrines, et pour explorer plus avant cette matière incomparable. À l'hôtel de ville, ces temps-ci, l'occupation a des visages humains, quels qu'ils soient. L'archive dans sa distance et sa proximité mêlées, telle que la présentent ici Claire Paulhan, historienne de la littérature et petite-fille de Jean Paulhan, Olivier Corpet, directeur de l'Imec, et Robert Paxton, historien spécialiste de cette période et professeur émérite à la Columbia (University), donne, véritablement, à penser.
"Archives de la vie littéraire sous l'Occupation", jusqu'au 9 juillet. Hôtel de ville de
Paris, accès libre. Tous les jours sauf le dimanches et les 20 et 21 juin,
de 10H à 19H. Catalogue Taillandier, 446 pages, 39,90 euros.