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12 juin 2022 7 12 /06 /juin /2022 10:38

Les grands textes des pères fondateurs du sionisme politique, inédits ou épuisés en français, mis à la disposition du public francophone.

DÉJÀ PARUS

JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.

JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.

GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

À PARAITRE :

JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.

 

EN VENTE SUR AMAZON et dans les librairies françaises d’Israël, 

ou après de l’éditeur editionslelephant@gmail.com

 

 

 A l’occasion de la semaine du livre en Israël*, les ouvrages de la Bibliothèque sioniste sont vendus au prix promotionnel de 10 EUR / 35 NIS


*Offre valable jusqu’au 20 juin 2022

 

JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive

Il faut être infiniment reconnaissant à Pierre Lurçat de nous permettre, par le biais de ce petit livre, de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste, celui qu’on désignait comme le « Roch Betar ». On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive.

Impressionnant. À découvrir !

Jean-Pierre Allali, CRIF.ORG

 

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6 juin 2022 1 06 /06 /juin /2022 08:10
“Proust du côté juif” d’Antoine Compagnon, Pierre Lurçat

 

Dans l’abondante moisson de livres parus à l’occasion du centenaire du décès de Marcel Proust, celui d’Antoine Compagnon apporte un regard original, que son titre laisse mal deviner. Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas en effet d’aborder la judéité de Proust - thème débattu et rebattu depuis un siècle - que la réception de l’œuvre de Proust dans les milieux juifs français de son époque, et en particulier au sein du milieu des jeunes Juifs “sionistes”.

 

Professeur émérite au Collège de France, l'auteur avait déjà publié en 1989 un “Proust entre deux siècles”. Ce dernier livre est le fruit d’une enquête menée pendant la pandémie de Coronavirus, sous forme de feuilleton publié sur son blog. Le résultat de ses studieuses périodes de confinement est un album richement illustré, issu du travail et des interactions de l’auteur avec ses premiers lecteurs.

 

*

Ce qui m’importait”, explique-t-il, c’était de réfuter l’idée de plus en plus reçue qui voit de l’antisémitisme ou de la judéophobie dans la représentation des Juifs par Proust” (idée défendue notamment par le romancier Alessandro Piperno dans son Proust antijuif). Le livre traite donc essentiellement de la manière dont Proust a été lu par ses contemporains juifs, tels André Spire - qui fut le premier à aborder la judéité de Proust - Benjamin Crémieux ou Elie-Georges Cattaui.

 

L’idée d’un Proust antisémite ne résiste pas à l’examen des faits. Dans son chapitre consacré aux lecteurs de Proust de la “fin de l’après-guerre”, l’auteur mentionne ainsi les articles de Siegfried van Praag, qualifiant Proust de “témoin du judaïsme déjudaïsé”. C’est sur le fondement d’une telle qualification que certains ont pu décrire Proust comme un Juif totalement assimilé, voire comme un Juif antijuif. Antoine Compagnon affirme notamment qu’Hannah Arendt aurait emprunté cette idée à van Praag. En réalité, Arendt ne fait pas de Proust le modèle de l’assimilation, mais se sert au contraire de La Recherche pour critiquer le modèle de l’assimilation, à l’instar des jeunes lecteurs sionistes de Proust.

 

Proust sioniste?

 

A l'inverse, l'idée d’un “Proust sioniste” semble tout autant tirée par les cheveux. “Quand je dis “Proust sioniste”, explicite l’auteur, “j’entends non pas, bien entendu, que l’homme fut sioniste, mais que [des] jeunes sionistes s’emparèrent de son oeuvre pour faire avancer leur cause…” Quant aux innombrables théories autour des liens entre l’écriture proustienne et le Talmud ou la Kabbale, Antoine Compagnon rappelle que cette thématique a été inventée par Denis Saurat, qui écrivait dans La Revue juive en 1925 : “Le style proustien est le style du rabbin commentant les Ecritures”. Notons que cette affirmation n’avait, sous la plume de son auteur, rien de péjoratif.



 

Cette théorie fera florès, et nombreux sont ceux qui développeront la comparaison… y compris Louis-Ferdinand Céline, expliquant pour sa part que “Le Talmud est à peu près bâti comme les romans de Proust, tortueux, arabescoïde, mosaïque désordonnée” (entre autres amabilités du même acabit). On comprend bien, à la lecture de ce jugement péremptoire, que ce n’est pas seulement de Proust que parle ici l’auteur de Bagatelles pour un massacre, mais aussi des Juifs et de sa propre aversion pour ceux-ci. (Il est révélateur que l’actualité littéraire en France, un siècle après la mort de Proust, tourne encore autour de la judéité de ce dernier et des éructations antijuives de Céline). 

 

Sans prendre parti dans la querelle d’érudits entre Antoine Compagnon et Patrick Mimouni, pour savoir si l’auteur de la Recherche avait ou non lu le Zohar, je me permettrais ici une seule remarque. On ne “lit” pas le Zohar comme on lit un roman ou même un essai, de même qu’on peut difficilement “lire” le Talmud. On peut les étudier, de préférence dans l’original (même si d’excellentes traductions existent aujourd’hui pour le Talmud, grâce au rabbin Adin Steinsaltz). La question de savoir si Proust aurait "lu" le Zohar est donc tout à fait secondaire, par rapport à celle de savoir s'il aurait pu l'étudier, ce qui serait évidemment un scoop!

P. Lurçat

 

Antoine Compagnon, Proust du côté juif, Gallimard 2022.

 

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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 08:40
Crises langagières, Discours et dérives des idéologies contemporaines

Les crises idéologiques se manifestent par l’émergence de nouveaux langages, qui permettent de rallier des disciples. Les concepts sont souvent des mots d’ordre (inclusivisme, décolonisation, intersectionnalité) qui servent à condamner ceux qui les questionnent. L’écriture dite « inclusive », par exemple, illustre comment une revendication sociale annule un savoir (en l’occurrence linguistique) et légitime une forme d’intimidation morale.

Dans l’université ou les médias, la sommation idéologique prend désormais un ton comminatoire. La langue devient le lieu d’un discours doctrinal qui est simultanément un moyen d’exclure les adversaires et de propager les connivences militantes: qui n’adhère pas au nouveau dogme est  passible de « cancellation ».

L’urgence de rationalité a mobilisé des linguistes pour fournir des analyses à ces distorsions et dérives, où se mêlent rhétorique et idéologie.

 

Avec les contributions de :

Sonia Branca-Rosoff, Jean Giot, Yana Grinshpun, Danièle Manesse, John  McWhorter, François Rastier, Georges-Elia Sarfati, Jean Szlamowicz, Chantal  Wionet.

Crises langagières-Yana Grinshpun-Editions Hermann (editions-hermann.fr)

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29 mai 2022 7 29 /05 /mai /2022 09:29
Victor Soskice: héros inconnu - De l'espionnage aux camps de la mort
Pierre Lurçat, dans Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, enquête sur la figure méconnue d’un héros juif de la résistance fusillé par les Nazis.

Si l’on devait résumer la vie de Victor Soskice à quelques dates, elle serait déjà impressionnante et résumerait à elle seule les tribulations de la première partie du vingtième siècle. Il est né à New York en 1923 mais il a grandi en France. Élève à l’École alsacienne, il est reparti aux États-Unis en 1940 et s’est engagé dans les rangs de l’US Army. Parachuté en France, il a été décoré de la Silver Star, de la Purple Heart avant d’être exécuté par les Allemands au camp de concentration de Flossenbürg en 1945.

Tout commence à Berditchev

Pierre Lurçat dans Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, a voulu enquêter sur cet inconnu, dont la vie a croisé celle de sa propre famille. Cette figure lumineuse l’a accompagné, comme un symbole, une absence, un maillon dans une chaîne qui commence à la révolution russe et qui se termine dans le musée des combattants du ghetto, au kibboutz Lohamei Ha Guettaot en Galilée.

Tout débute avec le grand-père. David Soskice est né en 1866 à Berditchev, en Ukraine, un des berceaux de l’intelligentsia juive du XVIIIème siècle. C’est une ville dont les quatre cinquièmes des habitants étaient juifs, au point qu’on la surnommait « la Jérusalem de Volhynie ». Berditchev est ainsi la patrie de Levi-Yitzhak, un rabbin légendaire puis, un siècle plus tard, de Vassili Grossman, l’auteur de Vie et Destin, le Guerre et paix du XXème siècle.

A lire aussi : Combattre le terrorisme ou se forger l’esprit de résistance

David Soskice a d’abord été un « étudiant juif aux idées radicales, épris de changement », qui voulait écrire l’histoire de son vivant. Deux événements l’ont marqué : la pendaison de trois étudiants accusés d’avoir distribué de la littérature socialiste en 1880 et le pogrom de Kiev en 1881. Il émigre, passe par la France, s’installe en Angleterre et revient en Russie comme journaliste pour le Manchester Guardian.

Le Paris de Matisse

Activiste politique, ce grand-père a été emprisonné en Russie pour activités révolutionnaires. Cette épreuve initiatique lui a mis le pied à l’étrier pour devenir, juste avant la révolution de 1917, secrétaire d’Alexandre Kerensky, dirigeant du gouvernement provisoire russe. Dès la Révolution bolchevique victorieuse, il pressent l’évolution totalitaire de la Russie et repart en Grande-Bretagne.

Dans la famille, il y a aussi l’oncle : Franck, né en 1902, lui aussi au Royaume-Uni, a rédigé le texte abolissant la peine de mort dans son pays. Son frère aîné, Victor, né en 1895, parti aux Etats-Unis, est le père du héros de Pierre Lurçat. Après le divorce de ses parents, l’enfant suit sa mère Rossane en France qui se remarie à Paris. Le beau père de Victor junior est une célébrité de l’époque : il s’agit de Jean Lurçat. Peintre, sculpteur, céramiste, maître de la tapisserie, Jean Lurçat est aussi l’ami de Matisse, Picasso, Braque, Derain et Dufy. Les œuvres monumentales de ce membre de l’Académie des Beaux-Arts sont alors exposées dans les musées du monde entier. 

Au service secret des Etats Unis

Lorsque la guerre est déclarée, les époux Lurçat envoient l’adolescent finir ses études à New York, où vit son père. Il passe le bac au lycée français en 1941, tombe amoureux d’une certaine Ginette Raimbault et s’engage dans l’OSS, les services secrets américains ancêtres de la CIA.

Après un sérieux entraînement (mitraillette, parachutisme, transmission, explosifs), Victor Soskice est parachuté en France. Il mène à bien une mission de sabotage, mais sur la route du retour, est arrêté avec trois de ses complices. Il est torturé, emprisonné dans un camp de concentration et exécuté.

A lire aussi : Quand j’entends le mot nazisme, je sors ma culture

Grâce à l’enquête de Pierre Lurçat, petit-neveu de Jean Lurçat, le lecteur découvre aussi que le premier amour de Victor est devenue psychiatre, psychanalyste, élève de Lacan et autrice d’ouvrages qui font autorité sur le deuil et l’enfance, et que les héros d’hier avaient une âme emplie de culture classique. Soskice aimait ainsi citer Musset avant de partir en mission : « Celui qui n’a jamais souffert ne se connaît pas ».

A l’issue de la lecture de ce livre, on ne peut que  sentir le poids de l’Histoire et de la mémoire. Souhaitons que le souvenir de ce jeune mort idéaliste éclaire encore de nombreux chemins de vie…

Pierre Lurçat, Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, Éditions de l’Éléphant

Victor Soskice: héros inconnu - Causeur

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27 mai 2022 5 27 /05 /mai /2022 15:49
NOTRE ÂME NE PEUT PAS MOURIR, Taras Chevtchenko

En solidarité avec le peuple ukrainien, Seghers republie la poésie de Taras Chevtchenko.
Tous les bénéfices de cette édition seront reversés à l'association Aide Médicale et Caritative France-Ukraine (AMCFU), qui agit en faveur des réfugiés.

"Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur l’importance, pour la connaissance de l’œuvre d’un poète, des événements de sa vie, force est d’admettre que pour Chevtchenko l’évocation de ces événements est indispensable. C’est que chez lui l’activité artistique et l’action sont indissociables. Peintre ou écrivain, Chevtchenko vécut pour l’indépendance de l’Ukraine démocratique, et, pour cette cause, il ne cessa d’agir en révolutionnaire conséquent, participa à des organisations et des mouvements patriotiques. Il connut la prison, l’exil, la surveillance policière et l’interdiction de prendre et d’écrire.
Sa courte vie (1814-1861) fut bien remplie. On ne peut qu’être étonné par l’abondance de ses œuvres : ses très nombreux poèmes, dont certains sont fort longs (des milliers de vers), deux drames historiques, une vingtaine de romans, et ses dessins et ses tableaux, malgré le temps consacré à l’action et les années de prison et de forteresse.
L’Ukraine est présente partout dans les poèmes de Chevtchenko, comme eue, l’était dans ses pensées. Présence physique de son territoire, de la plaine, du Dniepr qui avec ses îles, ses récifs, le vent sur ses eaux, est comme une personnification de l’Ukraine vivante ; présence de ses traditions populaires, de son histoire, de l’aujourd’hui ; espoir et inquiétude pour son avenir. Toute l’œuvre du poète a ses assises dans l’histoire de son peuple, de son peuple luttant pour son indépendance contre les rois de Pologne, les sultans de Turquie, les tsars de Russie. Toute son œuvre est une exaltation de l’héroïsme cosaque. Elle est pleine de bruit et de fureur, pleine de batailles, de violences, de sang, d’incendies, de larmes, d’invectives, d’appels. Il est clair que dans chaque récit, Chevtchenko projette ses préoccupations actuelles, que ces poèmes doivent servir le patriotisme ukrainien, fonder l’espoir et l’action du peuple ukrainien ; le passé garantit l’avenir." (Extrait de la préface de Guillevic)

L’association Aide Médicale et Caritative France-Ukraine (AMCFU) a été créée en 2014, à la suite des événements de Maïdan, par des professionnels de la santé et de la solidarité engagés dans les causes humanitaires. Sa vocation est de créer une chaîne de solidarité de la France vers l’Ukraine en réponse aux besoins urgents et d’améliorer dans la durée la situation humanitaire en Ukraine. 

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17 mai 2022 2 17 /05 /mai /2022 16:52
État et Religion. Questions autour de la tradition juive, par Vladimir Jabotinsky

Recension de Jean-Pierre Allali, crif.org

 

Il faut être infiniment reconnaissant à Pierre Lurçat de nous permettre, par le biais de ce petit livre, de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste, celui qu’on désignait comme le « Roch Betar ». On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive.

Né à Odessa en 1880, Vladimir Zeev Jabotinsky est mort dans l’État de New York en 1940. A l’instar de Theodor Herzl, il n’aura donc pas vu de ses propres yeux la renaissance de l’État juif qu’il appelait avec fougue de ses vœux.

Très jeune orphelin de son père, le jeune Vladimir Zeev est éduqué par sa mère qui, dès l’âge de huit ans, lui fait donner des leçons d’hébreu. Très jeune aussi, il prit l’habitude de réciter la prière des morts, le kaddish, sur la tombe de son père. La description qu’il fera plus tard de son foyer est édifiante : « Chez nous, il régnait une cacherout stricte, maman allumait les bougies la veille de shabbat et priait matin et soir, et elle nous enseigna le « modé ani » et la lecture du Chema, mais toutes ces coutumes me laissaient indifférent ». Indifférent, certes, mais pas imperméable. Jabo n’était pas un Juif religieux mais il prit rapidement conscience de l’importance de la conservation du patrimoine religieux dans l’édification et dans la pérennisation de l’Etat juif en gestation. La religion, c’est un « trésor national » qui aura permis au peuple juif de survivre deux mille ans en diaspora malgré toutes les avanies. Dans l’esprit de Malraux, il considérait que « l’homme entier sera religieux ».

Il admirait beaucoup le rabbin Falk, aumônier militaire au sein du corps juif des « Muletiers de Sion », mais surtout le célèbre rav Kook qui le lui rendait bien en le qualifiant d’ « ange de D.ieu ». Pour Jabotinsky, la religion est plus importante pour la collectivité nationale que pour l’individu. Elle constitue le ciment qui a permis à la nation de perdurer à travers les siècles.

Les articles dus à la plume de Jabotinsky que nous propose Pierre Lurçat ont été publiés entre 1933 et 1937 dans différents journaux juifs et en plusieurs langues. On y trouve un « Exposé sur l’histoire d’Israël », des « Questions autour de la tradition juive », un texte intitulé « De la religion », un autre titré La tradition religieuse juive » et une lettre à son fils Eli, alors à Addis-Abeba en Éthiopie.

Impressionnant. À découvrir !

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions de L’Éléphant. 2021. Précédé de « État et religion dans la pensée du « Roch Betar » ». Présentation, traduction et notes de Pierre Lurçat. 96 pages.

 

Lectures de Jean-Pierre Allali - État et Religion. Questions autour de la tradition juive, par Vladimir Jabotinsky | Crif - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France

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5 mai 2022 4 05 /05 /mai /2022 08:15
Un livre à ne pas manquer : « Victor Soskice, de Pierre Lurçat »

En ces temps difficiles où la résistance à l’oppression semble atone, où l’on a parfois le sentiment que la jeunesse se désintéresse du politique et ne décolle pas de l’abstention, qu’elle reste imperméable à l’engagement politique et semble indifférente à l’héroïsme, valeur qui paraît désuète de nos jours et reléguée aux accessoires d’une histoire dépassée1, Pierre Lurçat nous livre un récit, à la fois foisonnant et poignant : celui d’un héros qui donna sa vie en s’engageant dans la résistance contre l’occupant nazi, durant la seconde guerre mondiale.

Pour l’auteur, Victor Soskice est d’abord un modèle : « Qui sauve un homme, sauve l’humanité ». L’exemplarité de l’engagement, jusqu’au sacrifice suprême, vient nous rappeler que, de tout temps, nous avons eu besoin de modèles lors de situations graves, afin de transcender le tragique de l’existence. Car c’est dans le dépassement de soi, dans son engagement, que l’homme donne un sens à sa vie. Aussi, l’on peut remercier l’auteur de nous rendre proche et familière une figure aussi belle, aussi touchante que celle du jeune Victor. Il était promis à un avenir heureux, grâce à une famille aimante, à des études solides et à sa fiancée Ginette qui ne fera jamais vraiment le deuil de ce grand amour.

Un livre qui se lit comme une enquête

Cette histoire est une quête, une aventure dans laquelle l’auteur est particulièrement impliqué puisque certains protagonistes sont des membres de sa famille. En effet, Jean Lurçat (grand-oncle de Pierre), artiste mondialement connu pour ses tapisseries, épousa en secondes noces, Rossane, la mère de Victor. C’est ainsi que ce garçon vécut toute son enfance avec Jean Lurçat qui l’éleva comme un fils et Rossane, sa mère, profondément attachée à cet enfant et qui ne comprit pas son engagement dans la résistance. Elle mourra d’un cancer, sans doute la conséquence de son chagrin inguérissable, en apprenant la disparition de son fils.

Ce livre est aussi la quête de la vérité, à travers les nombreuses rencontres émouvantes et profondes de l’auteur, avec ceux qui ont connu Victor, l’ont côtoyé, notamment à l’École Alsacienne, comme André Simon, que l’auteur rencontra presque par hasard, au kibboutz d’Ein Guedi où cet homme séjournait régulièrement. Cette rencontre allait être décisive puisque André Simon avait eu Victor pour condisciple et ami. De là, d’autres rencontres allaient s’enchaîner, s’agréger les unes aux autres pour donner vie à une figure exceptionnelle qui, sans cette recherche acharnée serait tombée dans l’oubli.

Ces rencontres ne sont pas tout à fait fortuites. Un fil invisible conduit chacun de nous, guidé par l’impérieuse curiosité de retrouver ceux qui, d’une manière, ou d’une autre, sont des figures importantes qui ont marqué notre vie. À cet égard, je serais tentée de rapprocher dans sa démarche, le livre de Pierre Lurçat avec la quête de Daniel Mendelsohn dans « Les Disparus »2 Peut-être que l’idée commune à ces deux ouvrages c’est le besoin de donner vie et chair aux disparus, de connaître leur ultime cheminement, jusqu’à la mort. Mais c’est aussi apprendre sur soi. Ce besoin impérieux qui nous dépasse étend ses ramifications qui font que cette dynamique tisse des liens avec les témoins, enrichit notre propre vie et construit lentement un récit qui donne forme à un être et l’arrache à l’oubli.

Ainsi, l’auteur verra s’ouvrir des pistes qui le conduiront à la rencontre de ceux qui, de près ou de loin se sont intéressés à l’existence de Victor Soskice, comme Caroline Eliacheff, psychanalyste et Aldo Naouri, son confrère, tous deux ayant bien connu l’énigmatique Ginette Raimbault, fiancée de Victor et surnommée le Sphynx. La fiancée de Victor était aussi une psychanalyste reconnue. Malgré des contacts professionnels réguliers et très amicaux au cours de longues années, Ginette taira jusqu’à sa mort l’existence de Victor qui avait tenu une place si importante dans sa vie. Ce silence, quasi sacré était-il le fruit d’un deuil impossible, comme s’il fallait garder au fond de soi, comme en une crypte sacrée, l’image de l’absent ? Cependant, elle avait mené de son côté des recherches sur la disparition de Victor, quand elle fut à la retraite. Les livres qu’elle avait écrits : « Parlons du deuil » et « Lorsque l’enfant disparaît », témoignent d’une quête silencieuse sur la perte, jamais abandonnée. Elle consacra les dernières années de sa vie à rechercher la trace de Victor jusqu’à l’ultime moment de son exécution.

Le choix de l’engagement

L’enfance de Victor fut heureuse. Cependant, sa mère avait voulu l’envoyer chez son père biologique à New York pour l’éloigner de la France occupée par les Allemands. Il va donc étudier au lycée français de New York et sera bachelier en 1941. Puis il entre à l’Université de Georgetown. C’est là que, promis à de brillantes études, il va décider de s’engager dans la lutte contre le nazisme en France occupée ; c’est pour lui un cas de conscience déchirant, car il s’est fiancé à Ginette, envoyée elle aussi par ses parents au Lycée français de New York pour fuir la France occupée. Cependant, la détermination de Victor est totale. Il faut signaler aussi qu’il a sans doute été influencé dans son choix par les récits de son père adoptif Jean Lurçat qui participa à la guerre d’Espagne. Cette expérience exerça sur lui une fascination/répulsion qu’il partagea avec l’enfant.

Des éléments historiques peu connus du grand public

C’est à l’université de Georgetown que Victor va nouer des liens d’amitié avec le fils d’un avocat qui travaille avec Bill Donovan : créateur de l’OSS (Office of Strategic Services). Cet homme était très favorable à l’engagement des Américains dans la guerre contre l’Allemagne. Après bien des péripéties, Donovan va créer un service de renseignements et organiser la guerre subversive sur le sol français avec le soutien actif de Churchill et du roi Georges VI.

Après avoir été accepté dans l’OSS, il suit d’abord un entraînement militaire aux EU puis il sera envoyé en Angleterre pour parfaire cette formation et sera recruté par le SOE (Direction des Opérations Spéciales). C’est de là qu’il sera parachuté en France – ce pays qu’il connaît bien pour y avoir passé son enfance. Il n’a que 19 ans. En Angleterre il est estimé de ses supérieurs et est promu au rang de sous-lieutenant.

Grâce au journal de Hugh Dormer qui a relaté les détails de l’expédition en France, Pierre Lurçat nous donne un compte rendu précis, détaillé et haletant des préparatifs minutieusement mis au point de l’opération « Scullion3 » qui devait se dérouler en France en août 1943. Opération complexe qui demandait à chacun des protagonistes un sang-froid absolu.

Après l’opération réussie, les activistes se séparèrent. Dormer et Birch son compatriote réussirent à passer en Espagne mais les autres furent arrêtés par la Gestapo. Et là, s’arrête la trace de Victor.

Cependant, la vérité sur la disparition de Victor ne verra le jour que bien des années plus tard. Pour la ménager, on avait fait croire à Rossane que son fils était mort au cours d’une opération militaire peu avant la fin de la guerre. Cette version avait été inventée par les proches de Victor pour atténuer la douleur de sa mère car on savait que ceux qui tombaient aux mains de la Gestapo devaient subir les pires sévices.

Le long périple de Pierre et de Judith, sa compagne, pour retrouver les traces de Victor Soskice dura plusieurs années. Il donna lieu à de nombreuses rencontres avec des associations et des personnes ayant connu le jeune homme. Les poèmes de sa mère Rossane, écrits après la disparition de son fils, expriment de façon vivante l’amour d’une mère pour son fils, ce jeune homme dont la vie aurait pu être lumineuse mais qui, comme beaucoup d’autres ne pouvait supporter l’occupation étrangère et sa barbarie. À l’amour de la vie, il a préféré le sacrifice ultime, par idéal sans doute, mais l’idéal, lorsqu’il est suivi d’action, n’est jamais vain.

Et le sort de Victor fait écho, pour moi, au film de Terence Malick : « Une vie cachée », film magnifique sur le refus d’un paysan autrichien de faire le salut hitlérien. Ce refus – véritable cas de conscience – car il a une famille et une femme qu’il aime passionnément, il le maintiendra jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Ce film n’a pas connu, hélas, l’enthousiasme de la presse ; sans doute parce que le héros est chrétien et que sa foi lui dicte de ne pas se compromettre avec le mal. Cela illustre à quel point notre société et la critique bien-pensante, se sont détournées de la transcendance, de ce qui élève l’esprit, de ce qu’est le dépassement de soi.

Le beau livre de Pierre Lurçat, empli d’une profonde empathie pour son héros, se lit comme un puzzle, au fur et à mesure que les informations se dévoilent, grâce au patient travail d’investigation de l’auteur.

Ainsi les évènements s’enchâssent les uns dans les autres et font revivre des figures d’exception, figures héroïques dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Victor Soskice, après avoir été torturé à Paris, fut envoyé au camp de Flossenbürg en Allemagne où il fut pendu avec ses camarades anglais. Ses restes n’ont pas été retrouvés et il fut sans doute incinéré dans le crématoire du camp. ET

Évelyne Tschirhart, MABATIM.INFO


Cliquez pour feuilleter

Victor Soskice. Qui sauve un homme sauve l’humanité. Éditions L’éléphant. 2022. En vente sur Amazon et BoD et dans toutes les bonnes librairies.

1 Pourtant, le nombre de jeunes enthousiastes qui ont travaillé aux côtés d’Eric Zemmour pour bâtir « Reconquête » vient infirmer mon propos…

2 Daniel Mendelsohn : « Les Disparus » Flammarion 2007 pour la traduction française.

3 Nom donné aux deux opérations de sabotage sur le territoire français.

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27 avril 2022 3 27 /04 /avril /2022 12:32

 

לאשתי  החלוצה

 

Les éditions Arfuyen ont entrepris depuis 2006 de traduire en français les œuvres complètes de la poétesse Rachel (Rahel, en hébreu), dans une traduction de Bernard Grasset. Après Regain (2006) et De loin, suivi de Nébo (2013), c’est aujourd’hui le dernier recueil de son œuvre poétique qui paraît, en édition bilingue comme les précédents, sous le titre Sur les rives de Tibériade.

 

 

Chacun en Israël connaît les poèmes de Rahel, qui sont étudiés au lycée et dont beaucoup ont été adaptés par les plus grands artistes israéliens et sont devenus des chansons populaires. Elle est à juste titre considérée comme une des grandes voix de la poésie hébraïque au vingtième siècle, et comme une des fondatrices de la littérature hébraïque moderne, aux côtés de S. J. Agnon ou de Yossef Haïm Brenner

 

Son traducteur, Bernard Grasset, est issu d’une famille de paysans-vignerons et d’artisans vendéens. Dans la préface au livre, intitulée “Dans le jardin du cœur”, il expose les éléments essentiels de l’art poétique de Rahel, marqué par la lecture de la Bible, et ses thèmes favoris, comme ceux de l’espace et du temps, sa fascination pour la nature et son expérience de la souffrance. 

 

Rahel, qui est montée en Israël en 1909 (elle se trouvait en voyage avec sa sœur et a décidé de ne pas retourner dans sa Russie natale), a en effet connu une existence brève et difficile. Atteinte de tuberculose pendant la Première Guerre mondiale, elle en mourra en 1931, à l’âge de quarante ans seulement. Sa vie marquée par l’expérience de la pauvreté, de la maladie et de la souffrance nourrit une poésie qui, note Grasset, “s’élève comme une prière”. Dès son premier poème, qui figure en ouverture du présent recueil, elle déclare : 

 

Pourtant je ne me suis pas révoltée contre le destin,

J’irai avec joie à la rencontre de tout,

Pour tout je rendrai grâce!

 

Ce poème initial, écrit alors qu’elle est encore jeune fille à Odessa, donne - explique son traducteur - “la clef ultime de son œuvre et de sa vie”. Effectivement, Rahel a accepté son destin de femme et de poète, et a su écrire, en dépit de la solitude et de la maladie, des vers emprunts d’une joie profonde, qui alterne avec la tristesse et avec un sentiment de gratitude. Ajoutons que Rahel n’est pas la seule à avoir donné dans un poème de jeunesse la clef de son existence. On pense en la lisant à un autre jeune poète, lui aussi promis à un destin tragique, Avraham Stern, dont le poème Soldats anonymes - devenu l’hymne de l’Irgoun puis du Lehi - comporte les vers prémonitoires :Aujourd’hui j’écris avec la plume, demain j’écrirai avec mon sang”.

 

Image dans Infobox.

Le recueil Sur les rives de Tibériade comporte également une série de lettres - dont plusieurs rédigées par Rahel alors qu’elle se trouvait à Toulouse, pour y étudier l’agronomie - et des articles de journal portant sur des sujets divers. Dans un article intitulé “Victimes? A propos de l’article de M. Beilinson, XXVe anniversaire de la Seconde Alyah”, Rahel répond à ce dernier qui décrit la vie des pionniers de la Deuxième Alyah comme une existence “sans joie et sans fête…”  Rahel, qui fait partie des membres de la Deuxième Alyah, rejette avec force cette description, écrivant notamment :

 

Se lever tôt le matin, non pour suivre un enseignement ou s’occuper de comptabilité - ce qui est de tradition chez un jeune Juif - mais pour aller dans les champs, au contact qui purifie, renouvelle, élève  avec sa terre maternelle, semer et planter, être associé au Saint, Béni soit-Il, dans la création du monde, se reposer le jour du shabbat en compagnie de garçons et de filles épris comme toi de l’antique patrie, croire, rêver et espérer - appellera-t-on cela une vie banale?

 

Dans cette réponse pleine d’émotion, on découvre un visage de Rahel que les précédentes traductions de ses poèmes laissaient dans l’ombre, ou ne laissaient qu’entrevoir entre les lignes : celui de la pionnière et de la sioniste ardente, qui a fait comme tant d’autres - illustres ou anonymes - le choix difficile et exigeant de l’alyah, de la montée en Israël et qui a donné sa vie au pays et à la terre d’Israël. Ce n’est pas le moindre intérêt du livre que de compléter ainsi la lecture poétique par celle, plus théorique ou politique, des articles et lettres de Rahel qui permettent au lecteur de faire connaissance avec la femme qui se cache derrière la poétesse. Et quelle femme!

 

 

Dans les dernières lignes de sa préface, le traducteur écrit : “La poésie de Rachel est un chant tragique, elle est aussi un chant d’espérance”. Et il ajoute dans une Note sur la traduction : “J’aurais aimé rencontrer Rachel dans sa petite chambre face à la mer à Tel-Aviv, où elle recevait ses amis : qu’aurait-elle pensé de mes traductions, elle qui connaissait si bien le français, les aurait-elle aimée?” Question à laquelle on ne peut évidemment répondre, mais on nous permettra malgré tout de dire : Oui, Bernard Grasset, elle aurait aimé vos traductions et aurait apprécié d’être ainsi, grâce à vous, rendue accessible aux lecteurs de France, pays qu’elle avait connu et aimé, et vous en aurait été reconnaissante, tout comme nous le sommes.

Pierre Lurçat

 

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31 mars 2022 4 31 /03 /mars /2022 16:58

Éditions L’éléphant

Paris-Jérusalem

 

Parution du livre

“Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l’humanité”

 

Fils adoptif de l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre.

 

Récit d’une enquête sur les traces de Victor, héros de l’histoire familiale de l’auteur et de la grande Histoire, ce livre est aussi une recherche de la vérité et de la mémoire et une réflexion sur l’héroïsme, valeur dont on retrouve aujourd’hui le caractère essentiel. On y découvre, outre la figure attachante de ce héros mort à 22 ans, celles des personnes qui l’ont connu et aimé, et notamment sa mère, l’artiste d’avant-garde Rossane Thimoteeff et sa fiancée, la psychanalyste Ginette Raimbault. Un récit poignant et captivant.

 

 

 

 

L’auteur

 

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris et vit à Jérusalem. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels des Préceptes tirés de la sagesse juive (Presses du Chatelet)Israël, le rêve inachevé (éditions de Paris), et Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Il a fondé en 2021 la Bibliothèque sioniste, qui vise à mettre à la portée du lectorat francophone les grands textes des fondateurs du mouvement sioniste et dirigeants de l’Etat d’Israël.

 

 

Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à

editionslelephant@gmail.com

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17 mars 2022 4 17 /03 /mars /2022 14:08

 

Parmi les grandes voix contemporaines de la littérature russe, celle de Ludmila Oulitskaïa occupe une place de choix. Il faut écouter l’interview qu’elle a donnée cette semaine à France Culture, où elle raconte son départ de Russie, à l’âge de 79 ans, après avoir vécu toute sa vie à Moscou. Si elle a décidé de s’exiler pour s’installer à Berlin (après un passage par Tel-Aviv, où vit son amie Rina Sharbakova qui a dirigé l’association dissidente Memorial), c’est évidemment en raison du pouvoir autoritaire de Vladimir Poutine, dont elle est une farouche opposante. 

 

Comme elle l’explique, “j’ai connu le pouvoir stalinien, celui de Khroutchev, de Gorbatchev, etc.” Mais c’est sous Poutine qu’elle a fini par se résigner à quitter son pays natal. “La démocratie n’a jamais eu rien à voir avec la Russie”, déclare-t-elle aussi dans cette interview passionnante, où elle reproche aussi à Soljénitsyne d’avoir rencontré Poutine. Dans les lignes ci-dessous, extraites de son beau roman Le chapiteau vert, Oulitskaïa relate la mort de Staline, survenue le jour de Pourim 1953. P. Lurçat

 

Ludmila Oulitskaïa

 

“Tamara était assise devant une assiette d’œufs brouillés liquides et mangeait en terminant son rêve. D’un geste d’une extrême douceur, sa mère Raïssa ilinichtna passait un peigne édenté à travers ses cheveux en tâchant de ne pas trop tirer sur cette feutrine vivante.


La radio déversait une musique solennelle mais pas très forte, la grand-mère dormait derrière la cloison. Puis la musique s’arrêta. La pause était un peu longue, cela avait quelque chose de bizarre. Et une voix bien connue retentit : 

“Attention! Ici Moscou! Voici un communiqué du gouvernement diffusé par toutes les stations radio d’Union soviétique…”

 


Le peigne s’immobilisa dans les cheveux de Tamara. Elle se réveilla brusquement, avala une bouchée d’œuf et déclara de sa voix un peu enrouée du matin: 

“Ça doit être un rhume de rien du tout, maman! Et il faut tout de suite qu’ils…”

Elle ne put finir sa phrase, car Raïssa Ilinitchna tira brusquement de toutes ses forces sur le peigne, la tête de Tamara fut brutalement pojetée en arrière et ses dents claquèrent.

“Chut! siffla Raïssa Ilinitchna d’une voix étranglée.

Sur le seuil se tenait la grand-mère revêtue d’un peignoir aussi ancien que la Muraille de Chine. Elle écouta le communiqué d’un air radieux et dit:

“Ma petite Raïssa, tu vas nous acheter des sucreries chez Elisseïev! D’ailleurs c’est Pourim aujourd’hui. J’ai comme l’impression que Samech a crevé”.

A l’époque, Tamara ne savait pas ce qu’était Pourim, pourquoi il fallait acheter des sucreries, et encore moins qui était ce Samech qui venait de crever. D’ailleurs, comment aurait-elle pu savoir que dans leur famille, comme chez les conspirateurs, on désignait depuis longtemp Staline et Lénine par les initiales de leurs surnoms, “S” et “L”, et qui plus est dans une langue antique et secrète : Samech et Lamed.

Entretemps,la voix chère à tout le pays avait annoncé que la maladie n’avait rien d’un rhume”.

 

L. Oulitskaïa, Le chapiteau vert, Gallimard collection Folio 2014.

 

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